Charité n Un vieillard va d'un marchand à un autre, la main tendue, comme le font les mendiants qui demandent l'aumône. Les marchés des villes du sud sont, comme dans le nord, envahis de bonne heure, car ici aussi, on croit que les bonnes affaires se font toujours à l'ouverture des marchés. Aussi, les marchands étalent-ils très tôt leurs marchandises et ils font tout pour attirer les chalands. — Venez, achetez mes dattes, elles sont de bonne qualité — Les miennes sont moins chères ! — Regardez comme mes oignons sont grands ! — Regardez ma meloukhia... Les acheteurs se penchent sur les marchandises, palpent, regardent, parfois demandent à goûter. Il y a aussi les pauvres, qui n'ont pas un sou, et qui guettent la datte ou le grain pourris que le vendeur jettera. Certains demandent même la charité, à la fois aux clients et aux vendeurs. — Aidez un pauvre infirme ! — Voilà longtemps que je n'ai mangé… — Montrez-vous généreux, Dieu vous le rendra ! Certains se font si insistants qu'on finit par leur glisser un sou dans la main ou un pain, mais la plupart se font chasser, notamment par les vendeurs qui trouvent qu'ils importunent les clients. — Allez-vous-en ! Sinon vous goûterez de mon bâton. Ce jour-là, sur le marché, un vieillard déguenillé va d'un marchand à un autre, la main tendue, comme le font les mendiants qui quémandent. — Au nom de Dieu, je n'ai pas mangé depuis deux jours ! Le premier marchand de dattes auquel il s'adresse lui répond. — J'ai déjà donné ! L'homme insiste. — Deux dattes me suffiront ! — Je n'ai rien à donner ! — Tu n'as donc pas pitié d'un pauvre vieillard ? Le vendeur serre son bâton. — Si tu ne déguerpis pas tout de suite, je te bastonnerai ! Le vieillard s'éloigne. Il fait quelques pas et tombe sur un autre vendeur de dattes. Il s'approche et tend la main. — Au nom de Dieu, la charité… Le vendeur, qui s'occupe d'un client, ne lui répond pas. Le vieillard insiste. — Quelques dattes me rendront la vie ! Voilà deux jours que je n'ai pas mangé… Dieu vous récompensera de votre générosité ! Le marchand, agacé, se retourne vers lui. — Va-t-en ! — Quelques dattes seulement ! Comme le premier, il serre son bâton. — Si tu ne pars pas, je te brise les reins ! Le pauvre homme s'éloigne encore. (à suivre...)