Les acteurs de cette histoire ont été très célèbres en leur temps, et si, selon notre habitude, nous avons changé leurs noms, les spécialistes de la boxe les reconnaîtront facilement. Car c'est bien de boxe qu'il va s'agir, la boxe avec son côté impitoyable, mais qui peut donner lieu parfois à une grande, une merveilleuse histoire d'amour. — A ma droite, René Marini, 1, 61 m, cinquante et un kilos. C'est ce qu'a dit tout à l'heure l'arbitre au moment de la présentation du combat. Il ne l'a pas dit comme cela parce qu'il est Anglais, mais c'est ce qu'il voulait dire. René Marini sautille au milieu du ring de l'Albert Hall à Londres, sous les cris du public et les éclairs des flashes au magnésium. Il est râblé, comme l'indiquent ses mensurations, court sur pattes, le torse puissant, la figure allongée, avec les cheveux bruns très bouclés, presque crépus. Même en ce moment, où il est en train de se battre, il n'a pas l'air méchant. On serait presque tenté de dire : il a une bonne tête. Ce qui, en boxe, n'est pas un avantage. — A ma gauche, Jack Tulli, 1,65 m, cinquante kilos sept cent cinquante. Jack Tulli, que René Marini, apprécie en connaisseur, est incontestablement un bel athlète. C'est un Zoulou. Il est originaire d'une de ces colonies anglaises d'Afrique que René ne situe pas très bien sur la carte. Mais qu'importe ! Il semble sorti tout droit de sa forêt vierge et il en a la beauté sauvage. C'est un magnifique boxeur tout en finesse. — Allez, Néné ! Autour du ring éclatent les cris des supporters marseillais. René Marini est de Marseille et ils sont une centaine à avoir fait le déplacement à Londres, ce qui, en 1952, est un long et coûteux voyage. C'est que, dans sa ville, René Marini, dit «Néné», est aussi populaire que les plus grandes vedettes nationales et internationales. — Allez, Néné !... Les cris des Marseillais couvrent par moments les hurlements en anglais qui encouragent Jack Tulli. René a besoin de ces voix chaleureuses, ensoleillées, pour avoir le courage nécessaire... Evidemment, ils ne savent pas. Ils crient son nom parce que c'est celui d'un grand sportif qui a douze ans de carrière professionnelle derrière lui et qui est passé tout près du titre mondial. Ils ne savent pas pourquoi, à trente et un ans, après un an d'inactivité, il a accepté de remonter sur le ring pour disputer ce que tous les boxeurs appellent «le match en trop». — Allez, petit ! courage ! Cela, dans le coin, c'est la voix de Philippe Constantino, son manager. Lui, il sait pourquoi René Marini a accepté de rencontrer Jack Tulli ce 6 novembre 1952, à l'Albert Hall de Londres. Et il lui a donné raison : il n'avait pas le choix. Le premier round est terminé. Dans le coin, Philippe Constantino donne ses conseils à son protégé. — Il a une allonge supérieure. Tu dois rentrer au corps à corps. Cherche le K.-O. Si le match dépasse le cinquième round, la différence d'âge jouera en sa faveur. Au coup de gong, René Marini se jette contre son adversaire. Il prend des coups, mais il en donne aussi. La jeunesse de Jack Tulli a pour contrepartie un certain manque de technique. A plusieurs reprises, il parvient à le toucher nettement. Les cris des supporters marseillais redoublent. Allons, tout n'est pas perdu ! — A ma droite, René Marini, 1, 61 m, cinquante et un kilos. L'arbitre aurait dû dire : — A ma droite, Nanou Marini, onze ans, 1, 41 m, trente et un kilos. (A suivre...)