Un monsieur se présente à la banque pour ouvrir un compte. Il avait ramené sa carte d?identité nationale. Mais le préposé la lui rendit avec un air de dédain et lui demanda de revenir avec «un dossier complet». C?est-à-dire des documents administratifs aussi insolites les uns que les autres, comme un certificat de résidence, un acte de naissance, etc. Les mêmes pièces qu?il lui avait fallu produire pour obtenir sa carte d?identité. Après avoir réalisé le parcours du combattant pour réunir ces documents, il revient à la même banque. Mais le préposé avait oublié de lui préciser qu?il fallait ramener un certificat de travail. Notre monsieur, ulcéré, ne comprenait pas cette étrange exigence. D?ailleurs, disait-il, il faisait des travaux à domicile. Est-ce que cela le privait de son droit à ouvrir un compte ? Il se rendit à une autre banque. Là, on lui répondit tout de suite que c?était complet. «Quoi, s?insurgea-t-il, complet !» Il voulait savoir si leurs coffres étaient trop pleins ou s?ils n?avaient plus de numéros disponibles à attribuer. Il lui fallut recourir au piston du voisin de la belle-s?ur du caissier principal de ladite banque pour avoir enfin l?immense privilège de faire partie de ses clients et d?y déposer son argent. Il dut, néanmoins, attendre quelques mois pour avoir son chéquier. Un jour qu?il avait osé faire une toute petite réclamation, on le traita d?ingrat et le voisin de la belle-s?ur du caissier principal fut appelé à la rescousse pour le tancer. Il ne protesta plus jamais, même quand il était obligé de faire de longues chaînes pour encaisser un chèque, quand les mises à la disposition accélérées qu?on lui faisait mettaient des semaines pour arriver, quand les guichets ouvraient après l?heure et fermaient avant, quand il apprit que les clients devaient payer la «tchippa» pour obtenir des crédits ou pour faire «dormir» un chèque sans provision, quand il devait lui même payer des «frais de fax» faramineux, quand il avait à affronter, chaque fois, la mine rébarbative et renfrognée des agents devant qui il s?inclinait presque pour être servi.