De notre envoyé spécial en Angola Abdelghani Aïchoun «Angola has arrived» (L'Angola arrive, en français, ndlr) est le slogan qui revenait avec récurrence durant la Coupe d'Afrique des nations de football 2010, que ce pays a accueillie du 10 au 31 janvier dernier. Un slogan qui renvoie au sentiment que les gouvernants et citoyens de l'ancienne colonie portugaise développent ces dernières années. Pour tous ses visiteurs, l'Angola, principalement la capitale Luanda, est un gigantesque chantier. Au-delà des quatre magnifiques stades qui ont accueilli la CAN, réalisés en l'espace de dix-huit mois, se plaisent à l'affirmer avec fierté les responsables angolais, c'est surtout ces multiples immeubles gigantesques en train d'être construits, ou dont les travaux sont achevés, censés abriter des sièges d'entreprises par exemple, qui frappent le regard du visiteur. «L'argent du pétrole commence à être fructifié», commente plus d'un. Après plusieurs années de guerre civile -la paix ne s'est manifestée que depuis moins d'une dizaine d'années- l'Angola a cumulé un retard énorme, en termes d'infrastructures en tout genre. C'est pour cela que le pouvoir de Jose Eduardo Dos Santos, le président de l'Angola, tente de mettre les bouchées doubles afin de rattraper tout le temps perdu. En tout cas, en s'approchant de Luanda, tant par voie aérienne que maritime, la première chose que remarque le visiteur est le nombre incalculable de grues, visibles de très loin. Le nouveau stade de Luanda, appelé officiellement stade du 11 Novembre et officieusement le «nid des oiseaux africains», est situé dans le quartier Camama. Il est, entre autres, l'exemple parfait de cette «montée» en puissance de ce pays. Un chef-d'œuvre architectural marié aux dernières trouvailles technologiques. Le tout est de «marque» chinoise, bien évidemment, comme d'ailleurs c'est le cas, globalement, pour tout ce qui est en train d'être réalisé comme infrastructures à Luanda. «Il y a beaucoup d'opportunités d'affaires ici. Je ne comprend pas pourquoi les Algériens se font rares en Angola alors qu'il y a des investisseurs qui viennent de partout», nous dira Brahim, un entrepreneur algérien installé dans la capitale angolaise. «D'ici dix ans, vous verrez ce que va devenir ce pays», a-t-il ajouté. Un sentiment que partagent beaucoup de visiteurs, bien que cette «transformation» du pays contraste avec les énormes «favelas» qui disputent les lieux aux nouveaux quartiers résidentiels de Luanda, comme Belas. Des favelas au centre-ville de Luanda En se rendant à Belas, en venant du centre-ville de Luanda, plus exactement du quartier dit Coqueiros dans lequel se trouve le stade où les Verts s'entraînaient quand ils étaient à Luanda, on aperçoit soudainement un énorme bidonville. Si les transporteurs officiels du comité d'organisation de la CAN évitent cet endroit en empruntant souvent la route principale et les quelques quartiers plus ou moins agréables, les «clandestins» eux, ne se souciant guère de cacher cette misère, optent pour les raccourcis afin d'éviter les énormes embouteillages de la ville. Et ces raccourcis passent obligatoirement par cette favela. Là, il n'y a ni chantier ni projet structurant. Les gens y vivent dans des conditions inhumaines. Les routes sont délabrées. Les maisons sont construites avec un minimum de matériaux et les toits sont faits de plaques métalliques. Les «ruisseaux» d'eaux usées qui narguent les passants montrent qu'il n'y a pas de réseaux d'assainissement. Et tout cela s'étale sur plusieurs centaines de mètres. Un peu plus loin, pour ceux qui vivent au bord de la mer, le panorama est «magnifique». Face à leur misère, il y a l'île de Luanda. Un lieu touristique fréquenté principalement par la classe bourgeoise angolaise et les étrangers. En entrant dans ce bidonville, le «taxi clandestin» avait demandé aux passagers de fermer les vitres «fumées». Le lieu n'est pas indiqué pour les étrangers. En dépit du fait que, de temps à autre, des policiers y effectuent des rondes, ce genre de quartiers n'est jamais assez sécurisé. De plus, les responsables du comité d'organisation de la CAN avaient recommandé aux uns et aux autres de ne pas trop s'aventurer à l'extérieur, c'est-à-dire en dehors des lieux d'hébergement. De là à se rendre dans une favela, ce serait une initiative inconcevable. En tout cas, ces bidonvilles sont nombreux en Angola, principalement à Luanda, où la population est estimée à près de quatre millions et demi d'habitants. Les Angolais démunis se ruent souvent vers la capitale où il y a une chance d'accéder à un meilleur niveau de vie. Et là, à défaut de trouver un appartement dans les vieux quartiers de Luanda -chose d'ailleurs impossible pour le commun des mortels tellement le prix de l'immobilier est élevé-, les uns et les autres se voient forcés de s'installer dans une habitation de fortune en attendant des jours meilleurs. «Cela dure depuis plusieurs années déjà. Les gens viennent de partout et s'installent ici. Ils pensent avoir plus de chances de trouver un emploi. Mais, souvent, ils se rendent vite compte que peut-être les choses ont empiré pour eux», nous a déclaré notre «taxi clandestin», dans un anglais approximatif. Mais celui-ci ne nous en dira pas plus. Les Angolais sont peu bavards surtout quand le sujet frôle «la politique». Le silence est la règle. Pas question donc de critiquer le pouvoir de Dos Santos. Luanda, notamment dans les quartiers périphériques, tous se vend et s'achète dans la rue. Faire du commerce, formel ou informel, est un luxe. Jeunes, femmes et enfants usent de tous les moyens pour gagner un peu d'argent. (le kwanza est la monnaie locale, ndlr). Les boissons alcoolisées, le produit le moins cher Des fruits exotiques aux vêtements en passant par les téléphones portables, tout se négocie ouvertement. Même les boissons alcoolisées ne dérogent pas à cette règle. S'il y a bien des supermarchés qui offrent ces produits, le citoyen ordinaire se les procure généralement auprès d'étals de fortune installés à même le trottoir. C'est le produit le moins cher en Angola, diront certains, au point qu'il est à se demander si les prix de la bière et autres liqueurs ne sont pas soutenus par l'Etat, tellement l'inflation a touché tout le reste. Si le prix d'une bouteille d'eau minérale est généralement de deux cents kwanzas (la valeur de la monnaie angolaise, comparativement à l'euro et au dollar, est pratiquement la même que le dinar algérien), celui d'une bière de moyenne qualité, dans un supermarché, est de soixante kwanzas alors que celle qui se vend dans la rue coûte moins cher. Le taux d'alcoolisme dans la société angolaise paraît, à première vue, assez élevé. C'est une impression, bien sûr, mais qui peut se vérifier. «Les gens noient leur misère dans l'alcool», nous dira un jeune de 22 ans travaillant pour le comité d'organisation de la CAN, au centre de presse de Futungo II, sis au complexe touristique de Belas. Pour le reste, tout est extrêmement cher en Angola, au point que le dollar est devenu une «monnaie courante». Même si certains salaires sont également assez élevés, beaucoup d'Angolais trouvent des difficultés à subvenir à leurs besoins. Ce jeune employé du comité d'organisation touche 1 200 dollars par mois. Malgré cela, il dit que, s'ils n'étaient pas deux frères à travailler chez lui, cette somme ne suffirait pas à nourrir toute la famille. Au «Bellas Shopping», un centre commercial gigantesque, fruit d'un investissement de 35 millions de dollars, inauguré en 2007, une baguette de pain coûte jusqu'à près de 2,5 dollars. En Angola, il n'y a pas de principe d'un «salaire minimum garanti». Les disparités entre les uns et les autres sont énormes. Si un agent de sécurité peut oucher, dans certaines entreprises, tout juste 400 dollars, ce qui est insignifiant, un cadre d'une compagnie pétrolière peut percevoir un salaire de 6 000 dollars ou même plus dans certains cas. Il n'y a aucune règle. Mais, il faut dire que la majorité des travailleurs n'ont pas des salaires conséquents. La corruption, un phénomène systématisé ? Ce qui est, par conséquent, frappant en Angola, c'est la présence du phénomène de la corruption dans les différentes sphères de la société. Une présence «affichée» qui n'a même pas pu être «cachée» à l'occasion de cette Coupe d'Afrique. En prenant un bus pour se rendre de Luanda vers Benguela, à la veille du match des quarts de finale de la Coupe d'Afrique des nations, entre l'Algérie et la Côte d'Ivoire, le 24 janvier dernier, des journalistes étaient sidérés de voir jusqu'à quel degré la corruption a «gangrené» certains agents du service public. Pratiquement à chaque barrage des services de sécurité, éparpillés à travers les 550 kilomètres séparant les deux villes, le chauffeur du bus remettait 500 kwanzas au receveur qui les «offre» à un agent des services de sécurité. C'est une règle et cela se fait au su et au vu de tout le monde. A un certain moment, se rendant compte que le «voyage» devenait plus coûteux que prévu, le chauffeur a demandé à l'un des journalistes, munis d'un badge d'accréditation, de se mettre devant lui, afin qu'il soit visible, pour que les agents des services de sécurité ne l'arrêtent plus au barrage. Un subterfuge qui a, relativement, «amené» un résultat puisque le bus a pu passer quelques barrages sans être sommé de s'arrêter. Le même phénomène a été observé également au centre-ville de Luanda. Un «clandestin» qui allait transporter des journalistes de Coqueiros jusqu'à leur lieu d'hébergement à Futungo II, contre une somme de 50 dollars -sur une distance d'environ une quinzaine de kilomètres- a dû payer dix dollars, selon ses dires, à un policier qui l'avait surpris. La même règle s'applique à l'aéroport «nacional» de Luanda pour acquérir un billet d'avion pour Cabinda ou Benguela. A chaque fois, il faut offrir dix ou vingt dollars pour pourvoir acheter un billet qui coûte environ 150 dollars (aller simple). Si l'intéressé n'a pas eu connaissance de la règle, il risque fort de trouver les vols «complets». Benguela, l'autre visage Benguela est l'une des quatre villes qui ont accueilli cette Coupe d'Afrique. Contrairement à Luanda, cette province qui se situe au sud de la capitale, donne l'air d'être mieux entretenue. Pas de bidonville à l'intérieur de la ville. Ceux-là se situent essentiellement à Lobito, un quartier limitrophe. La ville est plutôt «sympathique». La propreté est exemplaire. Des agents de nettoyage, des femmes surtout, parcourent les artères de la ville tout au long de la journée. Rien n'est laissé au hasard. Caractérisée par une architecture de style «colonial» et des espaces verts à profusion, Benguela représente l'autre visage de l'Angola. Les visiteurs se sentent en sécurité dans cette ville. Si, à Luanda, circuler la nuit a été déconseillé aux étrangers, à Benguela plusieurs restaurants sont ouverts jusqu'à une heure tardive de la nuit. Certains d'entre eux travaillent même 24 heures sur 24. De plus, ces lieux sont souvent fréquentés par une clientèle occidentale. Et par occidentale, il faut comprendre surtout «portugaise» puisque Benguela est l'une des villes où se sont concentrés les «anciens colonisateurs». En tout état de cause, malgré les conditions de vie difficiles, avec un pouvoir d'achat faible pour une bonne partie de la population, les Angolais essayent de vivre «normalement». Face aux torches des installations pétrolières off-shore, les jeunes aspirent à un avenir meilleur. Les projets d'infrastructures lancés par le gouvernement laissent planer un espoir d'accéder un jour à un statut plus «convenable». La «République» est jeune. Après le retrait des Portugais, une longue guerre fratricide a secoué le pays. La paix n'a été retrouvée que depuis quelque dix années seulement. L'organisation de la Coupe d'Afrique de football a donc représenté un signal fort qui confirme «l'arrivée» de l'Angola. Considéré comme l'un des plus grands producteurs de pétrole du continent, ce pays voudrait réellement refléter cette donne sur le terrain. Même si la mission s'annonce difficile, tout est possible dans un pays qui recèle énormément de ressources naturelles. L'Angola arrive… A. A. Luanda, troisième ville lusophone au monde Avec ses quatre millions et demi d'habitants, selon une estimation des Nations unies datant de quelques années, Luanda, la capitale angolaise, est considérée comme la troisième ville lusophone au monde après Sao Paulo et Rio de Janeiro (Brésil). C'est, bien évidemment, la plus grande ville en Angola. Si la langue officielle est le portugais, il n'en demeure pas moins que la population parle encore les dialectes locaux comme le Kimbundo, Ovimbundo et le le Bakongo. Ceci est surtout valable pour la capitale. Cette dernière est «partagée» en deux villes, ancienne et nouvelle. L'ancienne est constituée principalement de quartiers coloniaux situés près du port de Luanda. Cette ville a été fondée en 1575 par l'explorateur portugais Paulo Dias de Novais. Son premier point de chute a été nommé Sao Paulo de Assunçao de Loanda. Plusieurs «forts» ont été érigés sur la côte durant cette période. Il y a eu par exemple Sao Pedro de Barra forte (1618) et Sao Miguel forte (1634). Luanda a été le centre administratif de l'Angola depuis 1627, à l'exception de la période allant de 1641 à 1648, où elle a été sous domination allemande avant d'être ré-annexée au Portugal par Salvador Correia de Sa. A noter, en dernier lieu, que le Portugal a quitté l'Angola en 1975.