Depuis des mois, voire des années, des dysfonctionnements graves ont touché le marché du médicament induisant des pénuries importantes. En juillet 2011, le Syndicat national des pharmaciens d'officine (Snapo) répertoriait 230 médicaments manquants dont 170 indispensables pour le traitement du sida, du cancer, des insuffisances rénales en plus des pilules contraceptives. Par le désaveu de l'existence de pénuries d'abord, par des accusations successives à l'encontre des laboratoires, des lobbies d'importation et des gestionnaires de pharmacies centrales ensuite, le ministre de la Santé Djamel Ouled Abbès paye aujourd'hui les frais d'une politique de régulation du marché basée presque exclusivement sur la réduction de la facture d'importation et l'encouragement de l'investissement et du générique national. Ceci alors que dans une lettre censée être confidentielle, le Premier ministre interpelle son ministre de la Santé au sujet de la pénurie au niveau des pharmacies centrales des hôpitaux dans ces termes : «Devant cette situation, il est premièrement de mon devoir de vous rappeler que le dossier de la pénurie de médicaments au niveau de la Pharmacie centrale a été le premier dossier que je vous ai confié dès votre nomination à ce poste en insistant sur le fait de lui trouver une solution définitive, ainsi que des facilités financières octroyées pour cela.» Dans ce climat, des doigts accusateurs sont pointés sur les lobbies du médicament pour dénoncer des pratiques commerciales abusives. Vente concomitante des produits indispensables imposée aux officines – le Snapo révélait en juin dernier qu'un stock de 10 mille tonnes de médicaments périmés a été enregistré au niveau de 8 400 officines –. Avantages et cadeaux accordés aux pharmaciens, médecins et responsables de gestion des pharmacies centrales des hôpitaux, voire des cadres de la santé pour favoriser l'écoulement d'une marque ou d'une molécule. Campagnes médiatiques intenses focalisées sur une maladie dont les moyens de soins sont détenus par les meneurs. Bref, le b.a.-ba du travail des groupes d'intérêts basé sur le réseautage, le soudoiement et le trafic d'influence. Le marché mondial du médicament – près de 870 milliards de dollars de chiffre d'affaires – attire toutes les convoitises. Et il y a autant de lobbies du médicament que de laboratoires pharmaceutiques. Le scandale du Médiator en France représente un aspect de ce travail de lobbying. Un traitement prévu initialement pour les diabétiques puis vendus aux personnes désirant perdre du poids a fait au minimum 500 morts et causé des lésions des valves cardiaques nécessitant l'hospitalisation de 3 500 personnes entre 1997 et 2009 en France. Alors que les premières alertes sanitaires dataient de 1997, le médicament ne fut retiré du marché qu'en novembre 2009. Plus révélateur encore, l'affolante campagne médiatique sur le danger planétaire de ce qui était présenté comme la pandémie du siècle : la grippe Ah1/N1. Une grippe porcine qui s'est révélée guère nocive qu'une simple grippe saisonnière. Les cris de détresse de scientifiques, de politiques et d'hommes des médias soudoyés ou trompés par les laboratoires pharmaceutiques ont fait craindre le pire, y compris pour les dirigeants algériens. Résultat, l'Algérie se retrouve avec un stock inutile de 4,5 millions de doses de vaccin en septembre 2010. Par ces deux exemples, le jeu malsain des laboratoires pharmaceutiques reflète le véritable travail de lobbying qui consiste essentiellement à influencer les décideurs nationaux ou internationaux afin de servir leurs intérêts. C'est presque de bonne guerre si ce n'est qu'en Algérie, en l'absence d'une politique claire de la santé, une déstructuration chronique du marché et de la distribution et d'une absence de formation pour les différents intervenants, ces pratiques sont poussées à l'extrême. Le ministre de la Santé révélait dernièrement que 94 millions de dollars ont été économisés par le pays grâce à la lutte contre la surfacturation de médicaments. Les trois milliards de dollars que représente le marché du médicament en Algérie – la facture d'importation des médicaments représente 70% des besoins et coûte 2 milliards de dollars –, les perspectives démographiques et épidémiologiques (en 2020, le pays comptera 12% de séniors) et une politique de santé qui favorise l'installation de nouveaux investissements sans régulation efficiente favorisent l'anarchie. Entre importateurs, détenteurs de droits exclusifs, producteurs locaux en coopération avec des firmes étrangères, producteurs publics, grossistes, distributeurs … la surenchère est de mise. Tout cela au détriment non pas du client comme cela se dit pour les consommateurs de produits, mais des malades. Des souffrants. Dans une récente conférence de presse, l'éminent professeur Farid Chaoui, spécialiste en gastro-entérologie, proposait plusieurs étapes pour régler définitivement le problème de la disponibilité du médicament. En premier lieu, établir une carte des besoins. Quel type de médicament pour quelles quantités. Ces informations seraient simples à relever auprès des caisses d'assurances sociales. Seconde étape, tout en encourageant la production nationale de générique, le professeur recommande la coopération maghrébine. En plus de l'essor que connaissent l'Algérie, le Maroc et la Tunisie dans l'industrie du médicament, ces trois pays pourraient encore constituer un bloc (ou un lobby) pour demander à l'OMS (Organisation mondiale de la santé) de lever les droits de propriété quand il s'agit de médicament fortement demandé. La troisième recommandation du professeur Chaoui concerne la formation des médecins. «On ne forme plus les médecins à soigner mais à prescrire», regrette-t-il en expliquant que près de 80% des maladies sont psychiques et qu'entre 200 à 300 médicaments soignent l'essentiel des maladies. Notons que la nomenclature des médicaments inscrits au niveau du ministère comporte 6 800 dénominations, ce qui est énorme même pour Ould Abbès. La réponse à la question posée au début de l'article dépend de la position de l'interrogé. Le comportement des acteurs et décideurs exprime la confirmation de l'assimilation du produit médical à l'huile et au sucre. Seul le «client» réfutera, car à l'inverse des autres «aliments», la pénurie de médicaments tue. S. A.