«J'ai jeûné la première fois à 12 ans, mais que ce fut dur !.» Aussi loin que remonte votre mémoire, quel souvenir gardez-vous du Ramadhan de votre enfance ? Je n'ai que de vagues souvenirs, mais j'ai toujours en mémoire le f'tour en famille. En temps normal, c'est déjà sacré chez nous, à Sedrata, de tout faire en famille. Alors, quand vient le Ramadhan, c'est encore plus marquant. Je me rappelle aussi la souffrance que mes parents éprouvaient pour faire le jeûne. Je voyais et je les entendais se plaindre de la chaleur, mais je ne pouvais pas mesurer à quel point c'était difficile. Vous n'avez pas essayé de faire comme eux ? J'ai certainement dû essayer. Vous savez, comme les enfants sont curieux et désireux d'imiter les plus grands. Je ne m'en souviens pas très bien, mais j'ai certainement dû essayer. A quel âge avez-vous jeûné pour la première fois ? A 12 ans. J'étais déterminé à le faire, mais que ce fut dur ! J'ai dû prendre sur moi pour résister à l'envie de boire. C'est la soif qui était difficile à supporter, plus que la faim. Avez-vous souvenir d'odeurs particulières du Ramadhan de votre enfance ? Oui, celle de la chorba, bien sûr ! Lorsque les effluves de la chorba arrivaient à mes narines, je comprenais, tout enfant que j'étais, que je vivais un moment particulier. Mes parents m'ont appris dès mon jeune âge que ce moment-là, le mois de Ramadhan, fait partie non seulement de ma culture, mais aussi et surtout de mon identité. La chorba, et c'est tout ? Non. Il y a aussi l'odeur du bourek. Dans ma tête et dans mon esprit, la chorba et le bourek sont indissociables durant le Ramadhan. Chez vous, c'est chorba frik ou chorba vermicelles ? Chorba frik. Dans l'Est algérien, c'est une règle. Etes-vous amateur de l'ben ou de rayeb ? J'aime le l'ben. Avec la kessra (la galette) ? Non. Je mange la kessra toute seule. L'ben, je le préfère avec du couscous. D'ailleurs, pour le s'hour, j'adore le couscous avec l'ben et du sucre. Parfois, j'y ajoute aussi du raisin. C'est succulent ! Vous semblez être fan des plats traditionnels algériens... J'en suis dingue. Ça fait partie de ma culture. Vous ne pouvez pas mesurer à quel point un repas familial est important pour moi, surtout que, à cause du métier que je pratique, je vis loin de mes parents. Ce sont des moments tellement rares que chaque instant est un pur bonheur. Pour accompagner tous ces plats, on suppose que vous avez une boisson préférée, non ? (Rires) Effectivement. Je ne vais pas faire de la publicité en citant cette marque, mais sachez que c'est une boisson gazeuse typiquement algérienne, qui a acquis une renommée internationale. C'est vrai que les boissons gazeuses ne sont pas recommandées pour les sportifs de haut niveau, mais j'avoue faire parfois une entorse à la règle en me permettant ce petit plaisir. Après le repas, c'est thé ou café ? Je suis plutôt café. Est-ce dur de passer le Ramadhan quand on est footballeur professionnel ? Oui, très dur. Déjà, il y a l'éloignement de la famille. Ensuite, il y a l'exigence physique de notre métier qui rend le jeûne difficile. Mais vous jeûnez quand même... Oui, je jeûne le plus souvent. Dans tous les clubs par où je suis passé, je jeûnais aussi souvent que je le pouvais. Je faisais tout pour que ça ne se répercute pas sur mes performances. Je vous le dis : c'est sacré pour moi. Pour vous, c'était sans doute une épreuve comme celle de gagner une place dans votre équipe et conquérir le haut niveau... C'était un peu ça. J'en fais un défi personnel. Quitte à le répéter, cela fait partie de ma culture et du legs de mes parents. C'est un moment particulier que je tiens à vivre, même si je ne peux jeûner tous les jours. Vous dites que c'est difficile de jeûner en étant footballeur. Vous avez quand même passé une semaine mémorable en octobre 2009 avec la sélection nationale en plein Ramadhan pour préparer le match Algérie-Zambie, qualificatif pour la Coupe du monde 2010... Ah, oui ! Ce n'était pas une semaine, mais deux semaines que nous avions passées ensemble. Cela faisait longtemps que je nous, internationaux émigrés, n'avions pas jeûné en communauté en Algérie. Wallah, ça a été un moment magique. Nous rompions le jeûne tous ensemble au Cercle national de l'armée de Beni Messous. Le jour du match, nous avions rompu le jeûne à Blida. C'était un grand moment convivial qui a été apprécié par tous les joueurs. Cependant, ce n'était pas la seule fois où nous avons été en stage en plein Ramadhan. Il y a eu celui de 2010, en préparation du match face à la Tanzanie en éliminatoires pour la CAN-2012... Oui, c'est vrai, mais il ne faut pas oublier un moment très important du parcours de cette sélection : le Ramadhan 2008. En quoi avait-il été important ? C'était à l'occasion du match retour contre le Sénégal en éliminatoires pour la CAN-2010 et le Mondial-2010. A mon humble avis, c'est lors de ce stage durant le Ramadhan que les relations se sont vraiment consolidées entre les joueurs de la sélection. C'est là que l'état d'esprit qui a conduit à notre qualification pour le Mondial s'était forgé, grâce aux liens particuliers que le Ramadhan a tissés entre les joueurs de tous bords et grâce aussi aux valeurs que nous a inculquées cheikh Rabah Saâdane. Le coach avait eu donc un grand mérite ? Oui, bien sûr. Vous savez, même s'il n'en donne pas l'air, cheikh Saâdane savait faire la part des choses. Il était à cheval sur la discipline, mais il nous responsabilisait comme des adultes. Il savait communiquer avec nous. Ce Ramadhan-là et celui de 2009 ont vraiment fait des Verts un bloc soudé. Vraiment, c'était un moment inoubliable. En deux semaines de vie commune durant le stage d'octobre 2009, en plein Ramadhan, vous avez dû certainement repérer ceux qui, comme on dit, «yaghlab'houm Ramdhan»... (Rires) C'est vrai qu'il y en avait pour qui le jeûne était éprouvant et cela se sentait. Ils avaient vraiment une mine bizarre durant la journée. Evitons de citer des noms et laissons el bir beghta'h (rire). Dites-nous seulement si Samir Zaoui était tout aussi chambreur avant le f'tour qu'il l'est après avoir mangé... Ah, non ! Avant le f'tour, Samir n'a pas le même sourire ni les mêmes boutades. Yeghalbou n'taâ bessah ! Le Ramadhan a été aussi certainement l'occasion pour les joueurs émigrés de découvrir davantage l'ambiance du jeûne en Algérie... Vous savez, les Algériens ont une image erronée au sujet de la relation des joueurs émigrés avec la religion en général et le Ramadhan en particulier. Dites-vous bien qu'ils sont généralement plus attachés à leurs coutumes qu'on le pense, car leurs parents tiennent à ce que leurs enfants perpétuent leurs coutumes. Les émigrés trouvent un plaisir immense à jeûner en Algérie et, s'ils le pouvaient, ils le feraient chaque année. Vous avez également, en sélection, fêté Aïd-el-Adha en pleine CAN-2004 en Tunisie. Est-ce également un bon souvenir pour vous ? Et comment ! C'était au lendemain de notre victoire contre l'Egypte. Cheikh Saâdane avait égorgé un mouton, je m'en souviens. C'était également un moment très convivial. Certes, j'aurais aimé passer l'Aïd avec ma famille, mais les joueurs de la sélection étaient tous des frères pour moi et je m'étais senti comme chez moi. En club, est-ce que vous rompez le jeûne avec vos coéquipiers musulmans, quand il s'en trouve ? Oui, il m'est arrivé de rompre le jeûne avec les musulmans des clubs où j'ai évolué. Souvent, des supporters musulmans nous invitent aimablement au f'tour chez eux. Par exemple, il y a quelques jours, un Algérien résidant à Karlsruhe est venu jusqu'à Kaiserslautern pour m'inviter, avec mes coéquipiers musulmans, à rompre le jeûne chez lui. Malheureusement, je n'ai pas pu donne une suite favorable à son invitation en raison de mes obligations professionnelles avec le FC Kaiserslautern, mais son geste nous est allé droit au cœur. Y a-t-il quelque chose que vous rêvez d'accomplir pendant le Ramadhan ? Oh oui ! Ne manger ni riz ni pâtes. Ce sont les plats de base des sportifs de haut niveau, mais lorsque ma carrière sera terminée, ce sera avec plaisir que je m'en passerai durant le Ramadhan. Dans ma famille, on ne mange jamais de riz ou de pâtes durant le Ramadhan. C'est plutôt un mois consacré aux plats traditionnels. Vous avez donc, quelque part, hâte que votre carrière s'achève afin de passer un Ramdhan «normal» en famille ? J'aimerais jouer encore le plus longtemps possible, mais c'est vrai que ma principale consolation, une fois ma carrière terminée, est de pouvoir jeûner tout le Ramadhan avec ma famille et mes parents. J'en brûle d'envie. On suppose aussi que vous attendez impatiemment que votre fils Naïm puisse atteindre l'âge de pouvoir jeûner à son tour... Bien sûr ! Ce jour-là, je serai vraiment très ému. Comme mes parents m'ont légué la culture et l'identité algériennes, je tiens à en faire autant avec mon fils. Je veux qu'il soit profondément algérien. Parle-t-il déjà l'arabe ? Oui, je lui parle en arabe. Quand il est avec ses grands-parents, ses oncles, tantes et cousins, c'est en arabe qu'on lui parle. Il apprendra l'arabe. Ce n'est pas optionnel. C'est obligatoire (rire).