L'Equateur vote dimanche lors d'une élection présidentielle qui marque la fin de l'ère de Rafael Correa, et il va décider de garder le cap du socialisme ou de virer à droite, comme d'autres pays d'Amérique latine avant lui. L'issue de ce second tour, inédit depuis la première élection du président sortant en 2006, est déterminante pour une gauche régionale affaiblie après les basculements de l'Argentine, du Pérou et du Brésil. La campagne, émaillée d'allusions à la crise vénézuélienne, s'est tendue suite au "coup d'Etat" reproché au président socialiste Nicolas Maduro. Le sort du fondateur du site internet WikiLeaks, Julian Assange, réfugié à l'ambassade équatorienne de Londres depuis juin 2012, dépend aussi du résultat de l'élection dans ce petit pays andin. Plus de 12,8 millions d'électeurs devaient, sous peine d'amende, se rendre aux urnes entre 07h00 et 17h00 (entre 12h00 et 22h00 GMT). Ils ont le choix entre l'ancien vice-président socialiste Lenin Moreno et l'ex-banquier Guillermo Lasso, crédités de respectivement 39,36% et 28,09% des suffrages le 19 février. Dénonçant "la dictature" de l'économiste Rafael Correa, M. Lasso, 61 ans, n'a cessé d'agiter l'épouvantail du Venezuela, où la Cour suprême a fait main basse sur les attributions du Parlement et octroyé des pouvoirs élargis au chef de l'Etat, avant de reculer samedi sous la pression de manifestations et de protestations internationales. "Le 2 avril, nous n'avons que deux options: voter pour le +continuisme+ ou voter pour le changement", a lancé M. Lasso en clôturant la campagne jeudi, réitérant sa promesse de créer un million d'emplois et de supprimer des impôts. Apôtre d'une politique sociale mais moins polémique que son charismatique mentor, M. Moreno, 64 ans, a axé son ultime discours contre la corruption, allant jusqu'à promettre "une chirurgie radicale (...) aux corrompus de ce gouvernement", "aux corrompus d'hier et de maintenant". Favori des sondages, dont la diffusion est interdite dix jours avant le scrutin, le candidat du parti au pouvoir, Alliance Pais (AP, Patria Altiva i Soberana: Patrie altière et souveraine - l'acronyme jouant sur le mot pays en espagnol), affichait de quatre à 14 points d'avance sur son adversaire du mouvement Créant des opportunités (Creo, "Je crée/Je crois" en espagnol). Toutefois, de récentes enquêtes non publiées "font état d'un nul technique à quasiment 50/50, mais avec une légère tendance en faveur de Lasso qui pourrait aller en augmentant", a précisé Santiago Basabe, politologue de la Faculté latino-américaine de sciences sociales (Flacso).
La manne pétrolière pour moderniser le pays Aux législatives du 19 février, AP a perdu sa majorité des deux-tiers, conservant néanmoins la majorité absolue à l'Assemblée. Elle a le soutien des classes populaires, bénéficiaires des programmes de la "Révolution citoyenne" et du "Socialisme du XXIe siècle" corréiste. Ayant enchaîné trois mandats, le président sortant - qui se retire pour aller vivre et enseigner l'économie en Belgique, pays de son épouse - a mis à profit la manne pétrolière pour moderniser l'Equateur. Mais il lui est reproché de l'avoir gaspillée, outre des cas de corruption impliquant d'ex-collaborateurs et qui éclaboussent son vice-président Jorge Glas, candidat à la réélection. M. Lasso séduit des classes moyennes affectées par la crise due à la chute des cours du brut et lasses de la confrontation de M. Correa avec les milieux d'affaires, les médias ou les multinationales. Mettant en garde contre une "restauration conservatrice", Lenin Moreno accuse "le candidat banquier" de s'être enrichi pendant la grave crise financière de 1999 alors qu'il était aussi ministre de l'Economie. Quant à Julian Assange, M. Lasso estime qu'il faut "réviser l'asile" accordé au fondateur de WikiLeaks, réclamé par la justice suédoise pour un viol qu'il nie. L'Australien craint d'être aussi extradé aux Etats-Unis pour la publication de documents confidentiels, notamment sur les guerres en Irak et en Afghanistan. M. Moreno, a réaffirmé qu'il maintiendrait la décision "que M. Assange reste dans l'ambassade tant qu'un sauf-conduit ne lui aura pas été accordé" pour gagner le pays de son choix. Les électeurs vont surtout décider en fonction de leur situation économique, "thème le plus important à l'heure de voter", selon Paolo Moncagatta. Ce politologue de l'université privée San Francisco souligne le poids du "vote anti-corréiste" d'une classe moyenne "fatiguée (...) du style du président". Son successeur prendra ses fonctions le 24 mai. "Quel que soit le vainqueur, il y aura un ajustement économique", avertit Santiago Garcia, économiste de l'Université Centrale, relevant une légère différence: "Un candidat propose un ajustement plus social, l'autre un peu plus dur" qui se base "sur la loi du marché".