Après des mois de statu quo, la décision mardi de la Banque du Japon (BoJ) était très attendue: l'institution a finalement procédé à de petits ajustements de sa politique monétaire ultra-accommodante, signalant que la route vers l'objectif d'inflation de 2% serait encore très longue. Depuis septembre 2016, les réunions s'étaient succédé sans grand enjeu, une situation contrastant avec ses homologues, la Banque centrale européenne (BCE) et la Réserve fédérale américaine (Fed). Mais cette fois, des rumeurs avaient laissé entrevoir la possibilité d'inflexions pour tenter de minimiser les effets secondaires négatifs de ses mesures sur les marchés et les banques. Au bout de deux jours de discussions, la BoJ a gardé globalement le même cap mais a dit "renforcer le cadre" pour pouvoir continuer son ambitieux programme, cinq ans après le lancement d'une vaste réforme monétaire qui a échoué. L'ensemble de ses mesures de soutien à l'économie sont reconduites, à commencer par son massif programme de rachats obligataires, situé autour de quelque 80.000 milliards de yens par an (plus de 600 milliards d'euros), en le modulant pour que le taux des obligations d'Etat à 10 ans se maintienne autour de 0%. Mais la banque centrale japonaise ajoute que ce taux pourra désormais "évoluer à la hausse et à la baisse dans une certaine mesure" et qu'elle conduira ses achats "de manière flexible". Grâce à ces ajustements, "le fonctionnement du marché obligataire va s'améliorer et la pérennité de notre politique sera mieux assurée", a justifié le gouverneur Haruhiko Kuroda en conférence de presse. La BoJ a également décidé de revoir son programme de rachats de fonds cotés en Bourse (ETF) afin de "diminuer les risques" de distorsion sur les marchés. Elle réduit par ailleurs le montant des dépôts de banques concernés par le taux d'intérêt négatif (-0,1%), cédant au mécontentement des établissements financiers que cette mesure était censée inciter à allouer des prêts aux entreprises et aux consommateurs.
Lointain 2% Parallèlement à ces changements, l'institution a abaissé ses prévisions d'évolution des prix, nouvel aveu d'échec dans sa quête d'une inflation de 2% alors que les prix à la consommation (hors ceux des denrées périssables) ont augmenté de seulement 0,8% en juin. Malgré un marché du travail très tendu (chômage de 2,4% en juin, au plus bas depuis 25 ans), reflet d'une pénurie de main-d'œuvre, la hausse des salaires reste limitée dans l'archipel, ce qui freine la consommation des ménages et donc l'inflation. Dans son rapport actualisé, la BoJ anticipe désormais une augmentation des prix de 1,1% sur l'exercice d'avril 2018 à mars 2019, puis de 1,5% l'année suivante (en excluant l'impact d'une hausse de la TVA, qui doit passer de 8% actuellement à 10% en octobre 2019). M. Kuroda voulait initialement atteindre la cible de 2% en 2015, une promesse partie intégrante de la stratégie "abenomics" du Premier ministre Shinzo Abe. Après avoir maintes fois repoussé l'échéance, il a reconnu mardi qu'il n'y parviendrait même pas d'ici à 2020. Dans cette optique, la BoJ prévient qu'elle "compte maintenir les très bas niveaux actuels des taux d'intérêt sur une longue période". L'ajout de cette référence au communiqué vise à "démentir les spéculations sur un prochain resserrement monétaire", a précisé le gouverneur, tâchant d'apporter des éclaircissements sur sa stratégie en réponse aux critiques.
'Interminable' "La BoJ est maintenant prête à un long combat contre la déflation ou la désinflation", a commenté pour l'agence Bloomberg Shigeto Nagai, analyste d'Oxford Economics. Pour expliquer ses difficultés, la Banque du Japon met en cause "l'expérience prolongée de faible croissance et de déflation" vécue par le Japon après l'éclatement de la bulle financière au début des années 1990. "L'idée que les salaires et les prix n'augmenteront pas rapidement s'est ancrée dans l'économie, et cela prend du temps pour changer ces facteurs", souligne la BoJ. De fait, ce programme d'assouplissement monétaire quantitatif et qualitatif (QQE, quantitative and qualitative easing) "paraît vraiment interminable", a taclé dans une note Yasunari Ueno, de Mizuho Securities. "Le gouverneur Kuroda a tiré des roquettes de son bazooka (nom donné à son offensive monétaire) sans imaginer un plan de secours au cas où son scénario initial d'une victoire rapide ne marcherait pas. Puis il a assoupli encore et encore, entraînant la Banque dans une longue et misérable campagne", fustige-t-il.