La plus grande banque américaine en termes d'actifs et la première au monde en capitalisation boursière, JP Morgan, a annoncé ce jeudi le test réussi d'une monnaie digitale, indexée sur le dollar, pour des paiements entre acteurs institutionnels. Explications. Incroyable, mais vrai. La banque JP Morgan Chase, dont le patron Jamie Dimon, avait traité le Bitcoin d'arnaque, est la première banque au monde à lancer sa propre crypto-monnaie, le JPM Coin. Il s'agit d'une monnaie digitale, s'appuyant sur la technologie Blockchain, née avec le Bitcoin, justement, il y a dix ans, mais elle est indexée sur le dollar et sert à des transferts d'argent instantanés entre des comptes d'acteurs institutionnels, de grands investisseurs, d'autres banques, de grandes entreprises, mais pas les particuliers. La plus grande banque américaine en termes d'actifs, et la première au monde en capitalisation boursière, prend tous ses concurrents de vitesse et s'impose comme la première institution financière de cette taille à se lancer de plain-pied dans l'univers des crypto-actifs. Goldman Sachs hésite depuis des mois à ouvrir un desk de trading sur les crypto-actifs mais la chute des cours l'an dernier (plus de 70% pour le Bitcoin par exemple) semble l'avoir incité à repousser ce projet. Fidelity a annoncé en octobre la création d'une filiale consacrée aux services en crypto-actifs, notamment la conservation. "Le JPM Coin n'est pas de l'argent en soi. Il s'agit d'une pièce numérique représentant les dollars des États-Unis détenus dans des comptes spécifiques de JPMorgan Chase N.A [North America, ndlr]. En résumé, un JPM Coin a toujours une valeur équivalente à un dollar américain. Lorsqu'un client envoie de l'argent à un autre via la Blockchain, les JPM Coins sont transférés et échangés instantanément pour un montant équivalent en dollars américains, ce qui réduit le temps de règlement habituel" explique Umar Farooq, responsable de la Blockchain et des services numériques de trésorerie chez JP Morgan dans une présentation en ligne. Un JPM Coin = un dollar La banque américaine insiste sur le fait qu'elle croit surtout dans le potentiel de cette "technologie de registre distribué", de stockage et de transmission d'information qu'est la Blockchain, qu'elle tient à distinguer des crypto-monnaies proprement dites, qui font l'objet de spéculations et de montagnes russes. "Nous avons toujours cru au potentiel de la technologie Blockchain et nous soutenons les crypto-monnaies tant qu'elles sont correctement contrôlées et réglementées.En tant que banque réglementée à l'échelle mondiale, nous pensons que nous avons une opportunité unique de développer cette capacité de manière responsable sous la supervision de nos régulateurs" explique le responsable Blockchain de la banque américaine. "L'échange de valeur, telle que de l'argent, entre différentes parties sur une Blockchain nécessite une devise numérique; nous avons donc créé la pièce JPM" relève-t-il. La banque américaine tient aussi à distinguer son JPM Coin des "stable coins", d'autres monnaies digitales indexées sur des monnaies fiduciaires comme USDC de Circle, Tether, Gemini, etc : sa monnaie digitale sera remboursable en monnaie fiduciaire détenue par JP Morgan, qui met en avant son "bilan forteresse" de 2.600 milliards de dollars. "En d'autres termes, un JPM Coin représente 1 dollar" assure calmement JP Morgan. A terme, le JPM Coin sera aussi indexé sur les autres principales devises.
Un prototype bientôt en production JP Morgan dévoile peu de détails sur la technologie utilisée : il s'agit d'une Blockchain privée, "permissionnée" (avec accès restreint aux membres autorisés), développée par la banque "et/ou des partenaires". Les JPM Coins seront émis sur la Blockchain Quorum, une version privée de la Blockchain Ethereum que JP Morgan a développée, et devraient être "utilisables sur tous les réseaux Blockchain standards". La banque précise que la création de ce "coin" n'a pas d'impact avec son "réseau d'information interbancaire" sur la Blockchain, l'Interbank Information Network, qui a fédéré plus de 75 banques, qui ne transfère que de la donnée, pas de la valeur, entre banques, "correspondantes" (activité qui consiste à fournir un compte à une banque étrangère pour des opérations en devises locales). Elle souligne d'ailleurs son expertise en matière de Blockchain et les "centaines de millions de dollars dépensés chaque année dans la cybersécurité", ainsi que ses contrôles robustes en matière de KYC (la connaissance client) et de lutte contre le blanchiment. JP Morgan précise toutefois que son JPM Coin n'est encore qu'un prototype, qui entrera bientôt en production. Il sera testé avec un petit nombre de ses clients institutionnels dans un premier temps, avant d'être étendu au cours de l'année. La banque n'exclut pas totalement d'en étendre un jour l'usage aux clients finaux des institutionnels. La nouvelle a troublé et agacé l'économiste Nouriel Roubini, le plus virulent détracteur de la Blockchain et des crypto-monnaies qui a réagi sur Twitter : "En quoi la nouvelle prétendue crypto monnaie de JPMorgan a quoi que ce soit à voir avec la blockchain/crypto ? Elle est privée, non publique, "permissionnée" et pas sans autorisation, basée sur les autorités de confiance vérifiant la transaction et non sans confiance, centralisée et non décentralisée. L'appeler crypto est une blague".
Tokenisation de la monnaie et ubérisation des banques De nombreuses institutions financières sont en quête d'une solution pour échanger plus rapidement de la valeur en numérique, sans les délais habituels de règlement-livraison, de compensation entre banques ou courtiers. Même des banques centrales réfléchissent à la façon de "tokeniser" (transformer en "token" ou jeton numérique) la monnaie fiduciaire. "Créer de la monnaie programmable, extrêmement fluide à échanger" expliquait récemment Eric Larchevêque, le cofondateur de l'ex-Maison du Bitcoin et de Ledger, qui confiait sa prédiction que "la Blockchain va se démocratiser par la " tokenisation " de la monnaie fiat [fiduciaire, ayant cours légal], de l'euro ou du dollar, qui va permettre de créer un système financier alternatif au sens technologique." Un certain nombre de banques (dont Crédit Agricole) testent le protocole de paiement de la startup américaine Ripple qui utilise la technologie Blockchain, pour accélérer les virements transfrontaliers notamment et s'approcher du temps réel, quand cela prend trois jours sur le réseau interbancaire Swift. Le patron de Ripple, Brad Garlinghouse, a d'ailleurs réagi sur Twitter. "Comme prévu, les banques changent de ton sur la crypto. Mais ce projet JPM passe à côté de l'essentiel : introduire un réseau fermé aujourd'hui revient à lancer AOL après l'introduction en bourse de Netscape" a-t-il raillé, estimant que "les coins de banque ne sont pas la solution." L'initiative de JP Morgan montre que la banque américaine n'a pas l'intention de se laisser "ubériser" par des startups spécialistes de la Blockchain, technologie qui permet de supprimer les intermédiaires (donc potentiellement les banques), ni d'attendre indéfiniment que les banques centrales s'engagent résolument dans la tokenisation de la monnaie légale. Elle propose d'emblée son alternative commerciale de cash électronique. Un exemple à méditer pour les autres grands acteurs de la finance.