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De la déviance au scandale
«L'izli ou l'amour chanté en kabyle» de Tassadit Yacine
Publié dans Le Midi Libre le 26 - 03 - 2009

Dans son dernier essai, l'anthropologue Tassadit Yacine adopte une approche dialectique pour étudier l'izli, initialement expression poétique codifiée et socialement admise de sentiments intimes chez les femmes et les jeunes garçons de Kabylie. Si Mohand Ou M'hand (1840/1905), dont le verbe est le corollaire et l'illustration de bouleversements historiques, donne à ce genre un caractère national avec l'installation violente de l'oppression coloniale qui pousse la société d'alors à se crisper jusqu'à la fossilisation sur ses valeurs traditionnelles irréversiblement obsolètes.
Dans son dernier essai, l'anthropologue Tassadit Yacine adopte une approche dialectique pour étudier l'izli, initialement expression poétique codifiée et socialement admise de sentiments intimes chez les femmes et les jeunes garçons de Kabylie. Si Mohand Ou M'hand (1840/1905), dont le verbe est le corollaire et l'illustration de bouleversements historiques, donne à ce genre un caractère national avec l'installation violente de l'oppression coloniale qui pousse la société d'alors à se crisper jusqu'à la fossilisation sur ses valeurs traditionnelles irréversiblement obsolètes.
Selon Tassadit Yacine, l'izli est avant tout un cri. Un cri de femme qui joue le rôle d'exutoire autorisé dans une société où l'homme domine partout et tout le temps. «Pour que l'ordre marche il faut l'indispensable béquille du désordre», écrit l'essayiste. Sans cette béquille lui garantissant la vie, l'ordre traditionnel dans la forme extrême qu'il a revêtu plus tard avec l'incursion coloniale, ne peut que mener à ces formes mortifères que les anthropologues coloniaux confondront trop vite avec l'essence même de la société traditionnelle.
«L'izli représente la dose et la forme de déviance socialement admise», écrit plus loin l'auteure qui examine soigneusement les mécanismes traditionnels de cette liberté conditionnelle du verbe féminin. Ainsi face aux Tiqsiddin, longues pièces de poésie écrites par les hommes et dont les sujets sont souvent épiques, donc «sérieux» les izlan sont souvent courts et légers donc «frivoles». Ce sont en réalité de véritables condensés de situations de tensions douloureuses exprimés dans un style le plus souvent allusif et humoristique. Pour circonvenir les conséquences de l'amour, cause potentielle de désordre, la société traditionnelle consent aux femmes et aux adolescents, encore bergers (imaksawen), cette forme d'expression mais «il y a une sorte de règle du jeu de la marginalité, qui en quelque sorte la socialise ; on ne s'écarte pas de n'importe quelle façon ni au-delà de toute limite», souligne l'essayiste. Ainsi, les izlan sont composés par les femmes et destinées à être chantées devant les femmes lors des fêtes, des activités quotidiennes ou des rites saisonniers. Ils ont comme cadre, Tala, une place loin du village, proche de la fontaine et de la nature. Leur forme est strictement codifiée. «Ainsi n'y a-t-il jamais description réaliste du corps, mais évocation stylisée et symbolique de seulement quelques éléments choisis, pratiquement toujours les mêmes : les yeux, la bouche, la chevelure, etc. (…) Mieux, ce n'est pas seulement un corps sélectionné qui est rendu, c'est un corps habillé ou plus volontiers encore, paré.»
De tamnafeqt, à imenfi à Si Mohand : de la contestation à la révolution
Pourtant, l'izli, au fil du temps, passe de la révolte individuelle à l'insurrection et trouve son apogée dans le verbe de Si Mohand. Ce poète de la rupture, dont le destin et le verbe dépassent le cadre de la région natale, pressent l'avenir. Après avoir analysé deux formes de contestation s'exprimant également par l'izli, celle de la femme qui refuse qu'on la marie de force, tamnafeqt, et celle de l'insurgé, amenfi, dit «bandit d'honneur», Tassadit Yacine dans une conclusion magistrale aborde le cas révolutionnaire de Si Mohand.
L'auteure prend le soin de rappeler l'impact, partagé par toutes les régions du pays, de la colonisation sur la société kabyle. Rejoignant les analyses de Frantz Fanon et Mouloud Mammeri, l'essayiste souligne que durant l'époque coloniale la société va pour protéger ses valeurs, se crisper sur un rigorisme extrême qui évacue tous les exutoires jusque là permis par une société sûre de sa stabilité. «(…) la perte de toute initiative historique et, en dernier acte, l'occupation coloniale ont acculé le corps social à une pratique stricte jusqu'à la sévérité. Cela explique en grande partie l'usage, même codifié, de la violence et l'imposition de contraintes quelquefois draconiennes à tout épanouissement du sentiment». Dans ce contexte de déréliction émerge le verbe mohandien, à la fois issue et précurseur de situations totalement nouvelles. Ce fils d'une caste élevée n'a plus en effet ni considération «ayla», ni pouvoir symbolique «tagmat», ni prestige «tirrubda» et «il ne peut même plus se prévaloir des avantages gratuits de la virilité «tirrugza».
«A situation insolite une expression renouvelée. Les rites, les conventions et les feintes de l'izli ne peuvent plus satisfaire une existence déboussolée, sans port d'attache, sans havre tutélaire. (…) Mohand est d'une indifférence à peu près totale à l'égard des règles du jeu social (l'ancien temps est mort et le nouveau n'est pas encore né). Son discours ne sera pas seulement déviant, il sera scandaleux. Le scandale, c'est l'infraction portée sur la place publique. L'Izli était l'expression d'un habitus, l'asefru est un défi.» Le dernier essai de Tassadit Yacine offre de nombreuses pistes de réflexion ainsi qu'un ensemble de poésies pleines de vie et d'une grande beauté.
Paru aux éditions Alpha,Alger, 2008.
Selon Tassadit Yacine, l'izli est avant tout un cri. Un cri de femme qui joue le rôle d'exutoire autorisé dans une société où l'homme domine partout et tout le temps. «Pour que l'ordre marche il faut l'indispensable béquille du désordre», écrit l'essayiste. Sans cette béquille lui garantissant la vie, l'ordre traditionnel dans la forme extrême qu'il a revêtu plus tard avec l'incursion coloniale, ne peut que mener à ces formes mortifères que les anthropologues coloniaux confondront trop vite avec l'essence même de la société traditionnelle.
«L'izli représente la dose et la forme de déviance socialement admise», écrit plus loin l'auteure qui examine soigneusement les mécanismes traditionnels de cette liberté conditionnelle du verbe féminin. Ainsi face aux Tiqsiddin, longues pièces de poésie écrites par les hommes et dont les sujets sont souvent épiques, donc «sérieux» les izlan sont souvent courts et légers donc «frivoles». Ce sont en réalité de véritables condensés de situations de tensions douloureuses exprimés dans un style le plus souvent allusif et humoristique. Pour circonvenir les conséquences de l'amour, cause potentielle de désordre, la société traditionnelle consent aux femmes et aux adolescents, encore bergers (imaksawen), cette forme d'expression mais «il y a une sorte de règle du jeu de la marginalité, qui en quelque sorte la socialise ; on ne s'écarte pas de n'importe quelle façon ni au-delà de toute limite», souligne l'essayiste. Ainsi, les izlan sont composés par les femmes et destinées à être chantées devant les femmes lors des fêtes, des activités quotidiennes ou des rites saisonniers. Ils ont comme cadre, Tala, une place loin du village, proche de la fontaine et de la nature. Leur forme est strictement codifiée. «Ainsi n'y a-t-il jamais description réaliste du corps, mais évocation stylisée et symbolique de seulement quelques éléments choisis, pratiquement toujours les mêmes : les yeux, la bouche, la chevelure, etc. (…) Mieux, ce n'est pas seulement un corps sélectionné qui est rendu, c'est un corps habillé ou plus volontiers encore, paré.»
De tamnafeqt, à imenfi à Si Mohand : de la contestation à la révolution
Pourtant, l'izli, au fil du temps, passe de la révolte individuelle à l'insurrection et trouve son apogée dans le verbe de Si Mohand. Ce poète de la rupture, dont le destin et le verbe dépassent le cadre de la région natale, pressent l'avenir. Après avoir analysé deux formes de contestation s'exprimant également par l'izli, celle de la femme qui refuse qu'on la marie de force, tamnafeqt, et celle de l'insurgé, amenfi, dit «bandit d'honneur», Tassadit Yacine dans une conclusion magistrale aborde le cas révolutionnaire de Si Mohand.
L'auteure prend le soin de rappeler l'impact, partagé par toutes les régions du pays, de la colonisation sur la société kabyle. Rejoignant les analyses de Frantz Fanon et Mouloud Mammeri, l'essayiste souligne que durant l'époque coloniale la société va pour protéger ses valeurs, se crisper sur un rigorisme extrême qui évacue tous les exutoires jusque là permis par une société sûre de sa stabilité. «(…) la perte de toute initiative historique et, en dernier acte, l'occupation coloniale ont acculé le corps social à une pratique stricte jusqu'à la sévérité. Cela explique en grande partie l'usage, même codifié, de la violence et l'imposition de contraintes quelquefois draconiennes à tout épanouissement du sentiment». Dans ce contexte de déréliction émerge le verbe mohandien, à la fois issue et précurseur de situations totalement nouvelles. Ce fils d'une caste élevée n'a plus en effet ni considération «ayla», ni pouvoir symbolique «tagmat», ni prestige «tirrubda» et «il ne peut même plus se prévaloir des avantages gratuits de la virilité «tirrugza».
«A situation insolite une expression renouvelée. Les rites, les conventions et les feintes de l'izli ne peuvent plus satisfaire une existence déboussolée, sans port d'attache, sans havre tutélaire. (…) Mohand est d'une indifférence à peu près totale à l'égard des règles du jeu social (l'ancien temps est mort et le nouveau n'est pas encore né). Son discours ne sera pas seulement déviant, il sera scandaleux. Le scandale, c'est l'infraction portée sur la place publique. L'Izli était l'expression d'un habitus, l'asefru est un défi.» Le dernier essai de Tassadit Yacine offre de nombreuses pistes de réflexion ainsi qu'un ensemble de poésies pleines de vie et d'une grande beauté.
Paru aux éditions Alpha,Alger, 2008.


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