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A qui la faute ?
Publié dans Le Quotidien d'Algérie le 20 - 09 - 2014

Le professeur Chems-Eddine Chitour, polytechnicien d'El-Harrach et professeur, très actif dans le domaine de la communication, doué également d'une bonne plume, vient de faire paraître, sur le site mondialisation.ca, une tribune intitulée : « misère morale en Algérie : le mimétisme ravageur d'un Occident pervers » qui fustige le tout récent concours de Miss Algérie 2014.
« Un scoop ! L'élection de Miss Algérie dans un grand hôtel algérois. A savoir que, dans l'Algérie de 2014, plus que jamais, le peuple est « accompagné » dans ce qu'il y a de plus stérile en termes d'intelligence et de créativité... La faute ne vient pas des organisateurs lampistes lambda qui n'ont fait que mettre en musique « une demande sociale ». Elle vient plus globalement de l'errance, de l'état d'esprit qui fait le manque de cap culturel, le désarmement moral, le laisser-aller sans stratégie d'ensemble... ». Puis, l'auteur s'étend longuement sur l'école persane et le prestigieux prix de mathématiques Fields attribué pour la première fois à une femme depuis sa création, de surcroît une iranienne surdouée de 37 ans qui enseigne à l'université américaine de Stanford.
A qui la faute ?
L'Etat est crédité, selon Algérie-focus, de l'intention d'attribuer, au titre du budget 2015, une enveloppe de 3,1 milliards de dollars au Ministère des Moudjahidines, soit dix fois le montant alloué au Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique (371millions), et également dix fois celui prévu pour le Ministère de la Culture (318millions).
A qui la faute ?
Pendant le cirque qui a fait office de campagne électorale pour les présidentielles d'avril dernier, à une question qui lui fut posée sur les fabuleux crédits accordés par l'ANSEJ à des jeunes sans diplômes et sans projets (crédits non remboursables, et que les bénéficiaires utilisèrent pour acheter des véhicules flambant neufs, pour se marier, et pour ouvrir boutiques), le Premier Ministre, A.Sellal, répondit, narquois : »et après ? »
A qui la faute ?
Nous avons vu le Ministre de l'Energie, lui-même docteur et polytechnicien d'El-Harrach, dire d'abord qu'il allait devoir pour l'Etat, en raison d'une demande exponentielle non prévue, de réviser les prix à la consommation de l'électricité, avant de faire émettre le même soir, par le biais de son administration, que cette révision n'était pas à l'ordre du jour (la campagne présidentielle battait alors son plein). Puis, lors de la polémique sur le gaz de schiste, pour faire taire l'opposition à un projet que la France s'interdit sur son sol, et contourner les débats avec les experts locaux, il forma pendant cinq jours des journalistes qu'il chargea ensuite de transmettre sa « bonne parole » sur la question, et accusa même ses contradicteurs de « complot », parla de « main étrangère » ! N'était-ce pas affligeant de la part d'un universitaire de rang de recourir à ce genre d'allégation éculé ! Mais nous avons eu également C.Khellil, A.Temmar, docteurs eux aussi, pour ne citer que ceux-là, qui ont floué le peuple en lui camouflant la vérité. Cette liste d' « érudits éclairés » serait incomplète sans nos brillants énarques, ceux qui s'acquittent avec application des « sales besognes », et ceux célèbres pour leurs plaisanteries douteuses propres à énerver les chaouis (feu Medeghri devrait en être profondément bouleversé dans sa tombe).
A qui la faute ?
Alger est la capitale la plus sale au monde, à tel point qu'un conseil ministériel vient de lui être consacré. Elle ne comporte de toilettes dignes de ce nom que dans les grands hôtels, et de plages propres que là où l'accès de la plèbe est interdit; très tôt le soir, elle se transforme en ville morte, déserte. Pas de commerces, de lieux de détente ou de loisirs à la portée des petites bourses, encore moins de cinémas ou de théâtres. Pendant ce temps-là, Tunisiens et Marocains rivalisent, à coup de publicités agressives, pour attirer les touristes étrangers, et s'accommodent de quelques petites « perversités occidentales » telles que le bikini à la plage ou le short en ville, ou la bière sur les terrasses des cafés-restaurants ; leur leit-motiv, eux qui n'ont pas d'hydrocarbures anesthésiants : promouvoir une image d'hospitalité et de tolérance de leurs pays, mais en même temps leur artisanat, folklore et savoir-faire gastronomique, et gagner des devises nécessaires à leur développement économique. Sommes-nous plus musulmans qu'eux, ou ne serait-ce pas plutôt cette maudite rente pétrolière qui nous éloigne de plus en plus de la notion de pain honnête? Une société exempte d'impuretés est une utopie, elle n'a pas existé du temps du Prophète(QSSL), et ne pourra exister aujourd'hui face aux multiples agressions de la mondialisation. C'est un combat perdu d'avance que de s'y accrocher. Pour preuve, à Abou-Dhabi, pays musulman, des prostituées de l'Europe de l'Est, d'Afrique, mais aussi du Maghreb, envahissent le soir boîtes de nuit et trottoirs, au vu et au su des autorités du pays. Pour preuve supplémentaire, les hordes de princes saoudiens qui envahissent l'Egypte permissive, prisant danseuses du ventre et autres plaisirs innommables. Par ailleurs, nous imposons, d'un côté, la construction de mosquées en Europe, mais, de l'autre, nous déployons un zèle incompréhensible à interdire la pratique de tout autre culte que le notre chez nous. Nous exigeons le respect de nos tenues vestimentaires à l'étranger, mais faisons un drame de l'épaule nue ou du mollet découvert d'une touriste. Qui sommes-nous pour ne pas être redevables de réciprocité ?
A qui la faute ?
Ailleurs, les Présidents rencontrent régulièrement les journalistes pour informer leurs citoyens sur les problèmes de l'heure. Depuis sa première élection en 1999, A.Bouteflika n'a accordé d'interviews qu'à la presse étrangère, méprisant les journalistes locaux. Par contre, il reçut Cheb Mami dans sa chambre d'hôpital, et fit même payer la caution de 200000euros (par un de nos consulats en France, semblerait-il) qui servit à sortir ce dernier de prison après qu'il fût inculpé pour son forfait crapuleux. Ailleurs, les députés et sénateurs demandent des comptes aux dirigeants. Les membres de nos deux chambres parlementaires, grassement payés pour se taire, ne s'offusquent pas de l'humiliation faite à leur fonction.
A qui la faute ?
Ailleurs, un ministre des Sports veille à ce que toutes les disciplines soient traitées également, et à ce que la relève soit convenablement assurée. Chez nous il n'y a que le football qui importe, et le Président de la FAF actuel règne sur ce sport depuis des années sans que personne ne lui demande où sont les écoles de formation.
A qui la faute ?
Le premier responsable du parti FLN possèderait des biens immobiliers en France (et pas que lui d'ailleurs), et une carte de résidence VIP, mais nos harragas, quand ce n'est pas la mer qui les « mange », c'est la prison qui les attend lorsqu'ils sont interpellés par les garde-côtes.
A qui la faute ?
Khalida Messaoudi, du temps qu'elle était l'égérie combattante du RCD, parlait avec détermination de culture. Devenue ministre de la Culture, cette dernière enchaîna les invitations d'artistes orientaux à très gros cachet, et les festivals carnavalesques à très gros budgets.
A qui la faute ?
Le Président de la République se fait soigner chez l'ennemi d'hier, et, pendant qu'il fait construire la 3ème plus grande mosquée du monde...par les chinois, ses citoyens souffrent le martyre dans des structures sanitaires locales devenues des mouroirs.
A qui la faute, quand un ramassis de septuagénaires ratatinés, dont certains moribonds, affreuse caricature de l'espoir, clame sa capacité à veiller aux destinées d'un peuple à 70% constitué de jeunes de moins de trente ans?
Aussi, fustiger la présence de Mme de Fontenay au concours de miss Algérie, ma foi, pourquoi pas ; pourtant, à bien considérer la question, si la dame au chapeau se trouva à Alger, c'est parce qu'on l'invita, alors que l'épouse du Premier Ministre, qui s'est signalée aux côtés de son mari chez les Obama récemment, aurait pu très bien officier à cette manifestation, avec le charme en sus. Et si l'octogénaire gauloise a lourdement gaffé en parlant d'Algérie française, alors, nous disons : »bien fait pour la g... de ceux qui ont vendu ce pays à la France! ».
Mais parler de misère morale, et pour certains de dépravation et de dévergondage, pour qualifier ce modeste concours en lui-même, c'est franchement regarder le doigt du sage quand celui-ci nous montre la lune. Une ambassadrice de l'Algérie, alliant la prestance à l'instruction, « petit grain de tendresse dans un monde de brutes », brise éphémère sans effet sur le sirocco d'une réconciliation nationale ratée, est de loin plus inoffensive, à notre humble avis, que celui qui importe des containers pleins de pétards dangereux, ou d'affaires scolaires nocives pour la santé de nos enfants. Depuis plusieurs années, Adriana Carambeu récolte des fonds pour la Croix-Rouge française : notre lauréate serait-elle moins qualifiée pour inciter nos milliardaires à soulager la détresse de nos cancéreux un tant soit peu ? Mettre la grâce et le charme d'une fille du pays, plus instruite que la plupart de nos députés, au service de causes nobles nationales serait-il signe de décadence morale ? Fadaises !
Offrons à nos jeunes de véritables opportunités d'apprendre, de se former, de produire, de créer, de voyager (et de revenir de leur plein gré), d'aimer les arts, en un mot d'appartenir à leur pays, et ils nous étonneront. D'abrutissantes « constantes nationales », proliférant comme du chiendent, sont littéralement en train d'asphyxier cette tranche majoritaire de la population. Chaque homme, chaque femme, devrait avoir le droit de choisir son destin, c'est l'abc de la démocratie. Créons du travail, car celui-ci éloigne le vice et l'ennui ; tout ce « mimétisme », Star-AC, The Voice, et que sais-je encore, que l'on dit « ravageur », ne sont que de petits phénomènes de jeunesse, qu'à défaut de comprendre, nous condamnons sans appel parce que nous appartenons aux générations qui ne possédaient pas de télévision à la maison durant leur enfance.
Reconnaissons à Mr Chitour , cependant, son honnêteté intellectuelle, lorsqu'il s'émerveille des prouesses de l'école iranienne dans le domaine des mathématiques, de préciser : « Par ailleurs, l'enseignement secondaire a été libéralisé à outrance, les établissements publics ont aujourd'hui un niveau très médiocre comparé à ceux du secteur privé qui coûtent très chers. Et la concurrence est rude entre les écoles privées qui vantent leur nombre d'admis aux concours d'entrée aux universités, un concours ultra-sélectif. Pour étudier à l'université Sharif de Téhéran, il faut ainsi finir parmi les cent premiers sur un million de participants. Le système éducatif iranien est devenu au fil du temps ultra-élitiste, basé sur une compétition incessante depuis le collège et jusqu'à l'université ».
La messe est dite : pour avoir des résultats probants, il faut y mettre le prix ! Une lapalissade, et qui n'a pas forcément grand-chose à voir avec le fait que les iraniens sont « les enfants de Darius ». Feu Boudiaf avait raison de parler d'une « école sinistrée », et M.Lacheraf avertissait en son temps des dangers d'une arabisation à la Pyrrhus. En Algérie, les lycées français de la capitale croulent, dit-on, sous la demande de nantis nationaux qui peuvent payer de 850000da à 270000da par an pour assurer un avenir meilleur à leur progéniture. A qui donc la faute ? A miss Algérie ? Allons donc!
Nous aurions néanmoins mieux apprécié l'intervention de Mr Chitour si celle-ci, au lieu de se radicaliser sur un événement somme toute mineur _Miss Algérie, bof! Big deal!_, s'était plus pertinemment préoccupée de mettre à nu les différences entre la recherche de l'excellence en Iran et la vantardise algérienne sur le nombre d'enfants scolarisés. Car, c'est là qu'apparaît la solidité du projet politique iranien, c'est là que se note l'absence de vision stratégique du projet algérien. Mr Chitour, qui est professeur aimant les mathématiques, aurait gagné, son expérience à l'appui, à proposer dans sa tribune des idées pour aider notre Ecole à s'engager résolument sur la voie de la qualité, plutôt que de parler de planter des arbres, ou de tomber à bras raccourcis sur un concours où la beauté et l'intelligence des femmes sont sollicitées pour soigner une image du pays fichtrement écornée. Combien a-t-on payé Zidane, qui reste français malgré son origine algérienne, pour réciter le texte du clip réalisé à l'occasion du Mondial de 2010 ?
Ou alors, au lieu de déplorer une prétendue « misère morale » sous-jacente à un malheureux concours (qui, Grand Dieu, n'emprunta quand même rien à un casting à vocation pornographique), au lieu de se lamenter sur la déperdition de notre jeunesse, Mr Chitour aurait dû exprimer son indignation face à la médiocrité de notre école à cinquante élèves et plus par classe, ou de notre université incapable de figurer dans le top 500 mondial. Et nous aurions tous applaudi en disant : bravo, Mr Chitour!
Plus sérieusement, émettons une explication à la réussite iranienne : et si c'était l'embargo qui aurait forçé la décision des responsables iraniens de ne compter que sur eux-mêmes, à l'instar de l'URSS pendant la guerre froide ? Cela voudrait peut-être dire que seul un étau économique obligerait le Pouvoir algérien à changer de politique dans tous les domaines, et celui de l'Education en particulier, mais ne sera-t-il pas alors trop tard ? Une autre méthode consisterait à sortir carrément les enseignants du secondaire de l'informel, où ils activent sans scrupules (parce que dispenser des cours chez soi, dans des conditions pédagogiques souvent déplorables, et ne pas payer l'impôt y afférent, relève de l'informel et leur confère une image exécrable), pour les orienter vers des collèges et lycées privés que l'on autoriserait. Parents des classes moyennes, étudiants et enseignants y trouveraient leurs comptes respectifs. L'opération dégraisserait les effectifs syndicaux (et réjouirait le ministère de l'intérieur) et, cerise sur le gâteau, il y aurait à la fois relèvement du niveau scolaire, et obligation, sans conditions, de rendement pour les enseignants. Le ministère des Finances prélèverait des impôts supplémentaires tout en se soulageant avec joie du fardeau salarial du dit personnel. Notre participation aux Olympiades de mathématiques arracherait des larmes de satisfaction à Mr Chitour, et l'Etat gagnerait en prestige avec ses universités enfin inscrites dans le gotha mondial. En un mot, que du bonheur. Elémentaire, mon cher Watson!
Bacha Ahmed
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