Saïdani a parlé, puis, hochant la tête d'un air entendu, dit « hugh » pour signifier que le premier des thèmes qu'il abordait était clos. Bizarrement assez, il y livrait une opinion surprenante, parce que tombant sous le coup du bon sens, rationnelle dans une véritable démocratie, à savoir que le poste de Premier Ministre revient au parti qui possède la majorité des sièges au Parlement. Rien à reprocher à ce raisonnement, l'homme est dans « son droit », et sa revendication légitime ; sauf qu'on est en Algérie, et que cette exigence n'a aucune valeur morale d'obligation, et encore moins de consistance. L'Algérie est un pays où le droit ne s'acquiert pas par les textes, il s'octroie par la Régence. Cinquante ans de pratique aidant, le peuple l'a compris ; une partie en a retiré rentes et privilèges, tandis qu'une autre, la plus naïve, n'en a vécu que les déboires. Mais qui est Saïdani pour oser un tel blasphème ? Saïdani, pour qui l'ignorerait encore, est cet individu dont on dit que sa derbouka tunisienne, et le jeu viril de ses épaules de déménageur, furent son gagne-pain pendant de longues années ; un homme qu'on retrouva un temps, par l'immense pouvoir du Pouvoir de pouvoir, catapulté au rang de troisième de l'Etat algérien en accédant à la présidence du Parlement ; présentement secrétaire général du parti FLN, mais possèdant, selon des sources journalistiques françaises, une carte de résidence VIP en France depuis 2012, et des biens immobiliers à Paris. Avec pareil palmarès, et sans diplôme aucun, cet ovni a réussi, non seulement à constituer une véritable énigme pour le commun des citoyens algériens (seuls quelques rares initiés en détiennent les clés), mais à faire douter nos universitaires de la pertinence de leur quête usante du Savoir. Il n'est point un miracle, cependant _ les miracles relèvent de l'intervention de Dieu _, mais un pur produit du façonnage humain dans ce que celui-ci a de plus repoussant, de plus détestable, car il ne sert pas l'humanité; le Pouvoir en a fabriqué ainsi des quantités, malléables et corvéables à merci, jetables et interchangeables. La seule ombre, à cette fresque relevant du fantastique, provient de deux hommes qui se sont jurés d'ester ce dernier devant la justice gauloise, pour le motif généreux de contribution individuelle au combat contre l'argent « sale ». Noble résolution, originale, et prometteuse de révélations. Deux algériens vivant outre-mer, un malheureux candidat aux élections présidentielles d'avril 2014, et un « spécialiste »habitué des plateaux de télévision français lorsqu'on traite du sujet du terrorisme. Deux individus, probablement aigris par l'échec, et que sa réussite aurait enragés, doit penser notre quidam en ricanant: pas de quoi fouetter un chat, mais par précaution, il se serait constitué un avocat ( payé en euros, cela s'entend). On peut, par conséquent, pour revenir à notre « sujet », comprendre qu'une Primature refusée (particulièrement quand c'est un clown qui lui fut préféré à cette fonction) lui soit restée en travers de la gorge, parce que celle-ci aurait avantageusement complété son impressionnant CV, et surtout, lui aurait permis de prétendre à la magistrature suprême, au même titre que tous ceux qui ont occupé ce poste. Sauf qu'on est, encore une fois, en Algérie, et que son prédécesseur, lui aussi, y a tellement cru qu'il a presque été victime d'un AVC lorsque cette Vérité lui fut rappelée. Des rumeurs rapportent que ce dernier a été empêché de se pourvoir d'un fauteuil roulant identique à celui du Président, parce que, même moribonds tous les deux, il serait lèse-majesté de confondre le Roi avec son Valet. Mais Saïdani a abordé un autre thème, plus intéressant, qu'il termina par un deuxième « hugh », également plein d'assurance, et toujours en hochant la tête, avec dans les yeux cette brillance propre aux initiés. Et sur ce plan, en général, quand ce personnage parle, on pense presque aux oracles anciens. Là, nous avons une ultime confirmation que nous sommes en Algérie, car l'information communiquée est de celles qu'en haut lieu, c'est-à-dire de derrière un rideau, on livre par le biais d'un chuchotement à l'oreille d'un pinochio « élu », caricature désopilante de Dieu instruisant l'un de ses messagers; et donc, en réalité, ce que les gens ont entendu, c'est un crieur public, choisi pour sa derbouka magique capable de drainer les foules, répercutant une décision déjà prise par la Régence : Saïdani a émis, plutôt asséné, l'assertion que la nouvelle Constitution serait votée prochainement par le Parlement, et non par référendum, c'est-à-dire point par le Peuple dont on dit qu'il est souverain quand on veut obtenir ses applaudissements. Du coup, on comprend pourquoi les salaires de nos valeureux députés ont été augmentés récemment de 33% ; du coup, ça nous rappelle qu'en 2008, les émoluments de ces derniers avaient été aussi accrus de 50%, quand le projet de « sauter le verrou » des deux mandats présidentiels maximum fut fomenté: une prouesse, il faut le reconnaître, qui permit de faire du quatrième mandat une simple formalité, agrémentée d'un faste folklorique sous la houlette de bouffons de la Cour rameutés pour la circonstance. Du coup, on comprend alors les chiffres avancés par la presse concernant le budget du Ministère des Moudjahidines pour 2015. Tout se tient. Tout est limpide comme de l'eau du Djurdjura. Pourquoi risquer les retombées politiques négatives potentielles d'une abstention massive, en cas de référendum, ou les immanquables soupçons d'urnes « tripotées à la soviétique» pour jurer de l'enthousiasme des masses, quand un simple quitus de notre bien-pensante Assemblée Nationale, outre qu'il est garanti de succès, est suffisant; un raccourci qui évite bien des tracas logistiques et sécuritaires. Alors, ce relèvement substantiel des salaires de quelque 520 parlementaires, petite délicatesse dont sont, d'ailleurs, friands ces derniers (surtout qu'elle leur sera servie pour le restant de leurs jours), n'est-ce pas, comme l'assurent les femmes sélectionnées par L'Oréal pour vanter ses produits cosmétiques, qu'ils « le valent bien » ? Le peuple, si on le lui demandait, dira qu'il s'en f...! D'abord, parce que dans le pays profond, on ignore tout de ce qu'est une Constitution, et de son efficacité supposée à provoquer les pluies dont la terre a besoin; ensuite, parce que sa sagesse, issue de l'expérience, lui a appris que, quel que soit son avis, les directives qui viennent de l'Olympe seront toujours adoptées et fêtées comme une victoire sur les invisibles, mais omniprésents, « ennemis du pays » chers à notre trotskyste de service. Seuls les gens avertis pressentent ce que ce texte contiendra _ quand le Pouvoir entreprend ce genre d'exercice, il ne le fait jamais par oisiveté _, et reniflent une supercherie dont certains dessous ne seront pas toujours détectables au départ; ils savent pertinemment qu'ils n'auront pas affaire à ce qu'on appelle ailleurs un Texte Fondamental à l'épreuve des hommes et des siècles, mais à une ordinaire concoction « maison », savamment enrobée de flou artistique pour qu'elle apparaisse comme le fruit du génie du Grand Timonier infaillible dans sa course entre les glaciers, et susceptible de changer avec l'humeur de ce dernier. En fait, ce recours à l'Assemblée Nationale, c'est-à-dire, à des élus non reconnus en tant que véritables représentants de l'expression populaire, convient aux citoyens parce qu'il les libère de la mauvaise conscience qu'ils auraient eu à plébisciter une partition à laquelle ils n'auraient pas participé dans son écriture. Bacha Ahmed