Par Kader Bakou Les unes des journaux ne sont pas «innocentes». La répétition dans certains journaux de unes «chaotiques», «émeutières» ou «apocalyptiques», consciemment ou inconsciemment suggère les scènes qu'elles montrent. Dans son livre The emotional life of nations (2002), l'Américain Lloyd De Mause, pionnier de la psychohistoire, a évoqué ce sujet dans le chapitre intitulé «La guerre du Golfe, une maladie mentale». «Dans les mois qui précédèrent la crise du Golfe, les magazines américains - à travers images et caricatures - commencèrent à exprimer des désirs de mort à l'égard de la jeunesse, suggérant inconsciemment un sacrifice. Des enfants étaient dessinés poignardés, fusillés, étranglés ou jetés du haut d'une falaise», écrit-il. Il donne l'exemple du magazine Money, qui illustra un reportage sur les facilités d'entrée aux universités, avec en couverture le dessin d'un jeune homme poignardé par des drapeaux et avec comme légende: «Le sacrifice des enfants.» Des images d'enfants tués dans des «banlieues en guerre» faisaient, en outre, la une des journaux et des magazines, bien que la criminalité ait en réalité baissé au cours des dix dernières années. Une rencontre de l'ONU sur les droits de l'enfant fut illustré par une caricature montrant le président George Bush en train d'électrocuter des enfants américains parce qu'ils n'étaient pas sages. «Il devint particulièrement clair que c'était la mort d'une partie ‘‘mauvaise'' de nous-mêmes qui était suggérée lorsque, début 1990, les médias se focalisèrent sur l'histoire d'un médecin — un militant de longue date pour la légalisation du suicide assisté — qui avait construit une «machine à suicide» conçue pour administrer une dose létale de poison. Une caricature montra même le président Bush en «docteur suicide» suggérant qu'il aiderait la nation américaine à se suicider. Pendant vingt années, j'avais rassemblé plus de 100 000 caricatures sans jamais tomber sur un dessin montrant un président sur le point de tuer ses concitoyens», écrit encore De Mause. Ce n'est pas fini ! Durant les mois qui précédèrent la crise du Golfe, les médias américains montrèrent aussi quantité d'images de femmes effrayantes. «Une Madonna castratrice et râleuse faisait la couverture des magazines. Des douzaines de films très populaires — comme Fatal attraction — mettaient en scène des femmes à la fois séduisantes et meurtrières. Ces images de mères terrifiantes, castratrices et envahissantes, ainsi que des suggestions subliminales de sacrifice d'enfants étaient si répandues dans les médias que je publiai un article, intitulé «It's time to sacrifice... our children», qui mettait en évidence le désir secret de l'Amérique de sacrifier sa jeunesse et prédisait que de nouvelles aventures militaires pourraient bien être entreprises dans le dessein inconscient d'accomplir ce sacrifice», fait remarquer l'auteur. Quatre mois avant que l'Irak n'envahisse le Koweït, Lloyd De Mause avait écrit : «Des suggestions subliminales de sacrifices d'enfants ont été exceptionnellement nombreuses dans les médias américains, cette dernière année. À l'Institut de psychohistoire, nous analysons minutieusement les représentations que fournissent les caricatures politiques et les couvertures de magazines, afin d'obtenir des indices nous permettant de mettre à jour les fantasmes collectifs qui animent la nation. Nous avons découvert un accroissement d'images d'enfants tués, frappés, étranglés, poussés du haut d'une falaise et — plus généralement — punis pour les péchés de leurs aînés». La conclusion : «Selon nous, ces images sont des ‘‘ballons d'essai'' qui testent les décisions que la nation pourrait bientôt prendre (...) Lorsque ce genre d'images prolifèrent dans les médias, cela signifie que nous lançons des signaux subliminaux qui suggèrent qu'il est peut-être temps de faire payer à nos enfants les excès dont nous nous sommes rendu coupables au cours de la récente décennie de la complaisance.» Reste le dernier et fatal pas. «Le président Bush dut réaliser que ces messages inconscients lui commandaient d'entrer en guerre. Sa virilité fut mise en doute lorsque des dessinateurs l'affublèrent d'une jupe et que les médias commencèrent à le décrire comme une ‘‘tante''. Des caricatures le montrèrent attaqué et dévoré par des montres. Il sentit la détresse rageuse de la nation et réalisa qu'il devait faire quelque chose rapidement. Dans ce monde de l'après-guerre froide, soudain si paisible, où pouvait-il trouver un ennemi assez fou pour défier l'armée la plus puissante de la planète, et suffisamment petit pour que nous puissions le battre facilement ?» Cet ennemi, c'est l'Irak, sacrifié pour la «bonne cause». K. B.