[email protected] Joe Biden est un vice-président des Etats-Unis mal récompensé, même s'il n'est pas toujours incompris, il est catalogué comme gaffeur hors pair, sauf lorsqu'il se tait, mais il est utile pour dire certaines vérités. Joe Biden ne dit rien sur les cahots de cette étrange coalition anti-Daesh, dont les bombardements semblent faire autant d'effet sur les islamistes que les obus du Hamas sur Israël. Mais il sait se départir de sa réserve d'Etat, pour rappeler que Daesh n'est pas le résultat d'une génération spontanée, et que des gouvernements sont à l'origine de la puissance de l'Etat islamique(1). Le vice-président américain a montré du doigt les trois principaux responsables de la naissance et de l'expansion du califat de Mossoul, à savoir l'Arabie Saoudite, le Qatar et la Turquie. Cette dernière ayant rejoint tardivement la coalition en traînant les pieds, et juste pour en profiter, un peu comme les Ulémas l'avaient fait en ralliant la lutte armée. Mais comme il y a des vérités qui ne sont pas toujours bonnes à dire, Joe Biden a dû s'improviser porte-excuses, et faire amende honorable auprès des concernés. Comme Galilée, réduit à se déjuger, il aurait pu ajouter, in petto : «Et pourtant, je n'ai dit que la vérité, l'Arabie Saoudite et le Qatar financent et arment, la Turquie offre ses zones frontalières et les facilités de transit pour les convertis européens.» Seulement, les trois pays sont des alliés plus ou moins inconditionnels de Washington, et le prouvent, même si la Turquie se montre parfois rétive, et rue dans les brancards, si l'expression est de mise. Les deux alliés arabes, par ailleurs grands pourfendeurs de l'Occident impie et sanctuaires d'un Islam pur et dur, ne veulent pas trop faire de bruit autour de cette relation. Ils ont d'ailleurs une panoplie de mariages de convenance à leur disposition pour tourner la Charia, dont ils sont les plus âpres défenseurs, du mariage «friend» du Yéménite Zendani au «missiar» saoudien. Le missiar consistant, rappelons-le, à faire comme les marins et à disposer d'une femme dans chaque port, ou chaque oasis, dans ce cas d'espèce. Quant à la Turquie de Tayip (il n'est pas Tayeb comme on s'acharne à nous en convaincre) Erdogan, son choix est fait : l'idée d'une victoire kurde à Kobbané (2) est plus insupportable que l'horreur d'un massacre collectif, commis par Daesh. Le président turc l'a reconnu : pour lui le parti kurde laïque(3) qui contrôle Kobbané est pire que ses alliés naturels contre qui il a promis de retourner ses armes. Seulement, les chars turcs en observation non loin de Kobbané n'ont pas tiré encore une seule salve, et se contentent de parader, alors que les combats font rage dans les rues de la ville assiégée. Tout se passe comme si du haut des collines qui surplombent Kobbané, vouée à devenir la source sanglante, des islamistes-rémouleurs supervisaient l'utilisation par les islamistes-égorgeurs des lames qu'ils leur ont aiguisées. Viendront ensuite les islamistes-conjureurs qui se confondront en lamentations, plus ou moins sincères, sur les pauvres victimes, et protesteront encore une fois de leur innocence. C'est à ces musulmans-conjureurs et aux autres qui n'osent dire tout haut ce qu'ils pensent tout bas, et qui se complaisent dans le déni que s'adresse le philosophe Abdennour Bidar, dans sa lettre au monde musulman : «Depuis le XVIIIe siècle en particulier, il est temps de te l'avouer, tu as été incapable de répondre au défi de l'Occident. Soit tu t'es réfugié de façon infantile et mortifère dans le passé, avec la régression obscurantiste du wahhabisme qui continue de faire des ravages presque partout à l'intérieur de tes frontières – un wahhabisme que tu répands à partir de tes Lieux Saints de l'Arabie Saoudite comme un cancer qui partirait de ton cœur lui-même ! Soit tu as suivi le pire de cet Occident, en produisant comme lui des nationalismes et un modernisme qui est une caricature de modernité – je veux parler notamment de ce développement technologique sans cohérence avec leur archaïsme religieux qui fait de tes "élites" richissimes du Golfe seulement des victimes consentantes de la maladie mondiale qu'est le culte du dieu argent.»(4) Ah, j'allais oublier les islamobaasistes : eux ne se contentent pas de retourner à Médine, mais remontent beaucoup plus loin, jusqu'à Hannibal qu'un des leurs a arabisé il y a quelques semaines(5). Suite à la parution de ma chronique sur le sujet, un ami m'a fait parvenir un texte du journaliste et pacifiste israélien Yuri Avnery, qui prétend, au contraire, que le prince phénicien était juif. Il soutient lui aussi qu'Hannibal était bien d'origine cananéenne, mais qu'il appartenait à une tribu qui s'exprimait en hébreu ancien. Voilà qui devrait nous valoir un débat intéressant, même si le glorieux Hannibal aurait voulu, ou mérité, un peu mieux que ces tentatives de se l'approprier. A. H. (1) La peur des mots étant contagieuse, la chaîne Al-Jazeera du Qatar n'utilise plus que le mot «Etat», pour désigner Daesh, et a biffé l'épithète «islamique», une façon de se prémunir contre l'accusation de complicité. (2) Les médias arabes optent plutôt, et on les comprend, pour l'appellation de «Aïn-Al-Arab», pour cette ville de Kobbané qui tirerait son nom d'une compagnie britannique (company) installée là lors de la construction du chemin de fer reliant Istanbul à Baghdad. Le nom arabe est dû à la présence d'une source où les pâtres arabes venaient faire boire leurs troupeaux (Al-Rai-Alyoum). Mais comme la surenchère va bon train, les djihadistes «sûrs d'y passer l'hiver l'ont déjà rebaptisée Aïn-Al-Islam», en attendant d'y faire couler du sang. (3) Le virus wahhabite et djihadiste n'épargne pas aussi les Kurdes, puisque l'un des principaux chefs de l'offensive islamiste contre Kobbané n'est autre que le nommé Abou-Khattab, un Kurde originaire d'Irak. (4) A lire en intégralité sur ce lien : http://blog.oratoiredulouvre.fr/2014/10/tres-profonde-lettre-ouverte-au-monde-musulman-du-philosophe-musulman-abdennour-bidar/ (5) Il s'agit de l'incurable Othmane Saadi qui a décrété que le Carthaginois Hannibal était un glorieux chef arabe (voir Kiosque arabe du 8 septembre 2014). Au passage, je m'excuse auprès de mes lecteurs pour le faux bond de lundi dernier, pour raisons de santé, uniquement. http://ahmedhalli.blogspot.com/