Les Etats-Unis et Cuba ont décidé de reprendre officiellement langue après plus de 50 ans de rupture et procéderont aujourd'hui lundi à l'ouverture de leurs ambassades à Washington et La Havane, en attendant de se convaincre mutuellement d'aborder les grands défis, dont, entre autres, l'embargo commercial imposé à l'île cubaine. Le ministre cubain des Affaires étrangères, Bruno Rodriguez, fera le déplacement pour la cérémonie, à laquelle 500 personnes devraient assister. Une plaque sera dévoilée officialisant le nouveau statut d'ambassade. Ce sera la première visite d'un chef de la diplomatie cubaine à Washington depuis 1959. Bruno Rodriguez se rendra ensuite quelques kilomètres plus au sud dans le centre de Washington pour rencontrer son homologue américain, John Kerry, au département d'Etat. A La Havane, le bâtiment qui abrite la représentation diplomatique américaine sera transformé en ambassade à minuit dans la nuit de dimanche à lundi, mais sans cérémonie officielle, en attendant un déplacement de John Kerry. Le 17 décembre dernier, les présidents américain et cubain avaient annoncé simultanément, à la surprise générale, le rapprochement entre leurs deux nations, des annonces suivies de plusieurs mois de négociations. La réouverture des ambassades correspond, selon le président cubain, Raul Castro, à la conclusion de «la première phase» de la normalisation. Le 20 juillet lancera «une nouvelle phase, longue et complexe, vers la normalisation des relations, qui nécessitera de la volonté pour trouver des solutions aux problèmes qui se sont accumulés pendant plus de cinq décennies et qui affectent les liens entre nos pays et nos peuples», a dit Raul Castro à la veille de l'officialisation des relations diplomatiques. Les axes de la coopération bilatérale ne manquent pas : aviation civile, environnement, lutte contre le trafic de drogue, accès des entreprises américaines au marché cubain. D'aucuns disent que la vraie raison du changement d'attitude de Washington est la reconnaissance par le gouvernement que la prolongation de l'embargo et les refus de négocier avec Cuba ont, en fait, lésé les entreprises américaines qui perdent du terrain sur le plan des échanges économiques. C'est d'ailleurs la conviction du président américain Barack Obama : «l'embargo est un échec... Les intérêts des USA ne sont pas servis par un effondrement de Cuba», avait-il dit. Désormais, les entreprises américaines n'auront en outre plus l'impression d'être en «terre inconnue», sans protection légale, dit Pedro Freyre, conseiller juridique d'entreprises américaines à Cuba. La compagnie aérienne JetBlue commencera cet été un vol charter hebdomadaire entre New York et La Havane, Airbnb a ajouté Cuba à son catalogue, et les Etats-Unis ont commencé à accorder des licences pour le transport de passagers par ferry vers Cuba. Les premiers bateaux pourraient partir en septembre ou octobre de Floride, à 150 km de l'île. Pour Cuba, il s'agit là d'un espoir de la fin de l'embargo décrété en 1962 par l'ancien président américain John Kennedy. Mais ce n'est pas encore gagné et pour cause : le Congrès américain, dominé par des républicains très hostiles à l'initiative du dégel, est le seul habilité à le lever. Selon les chiffres disponibles à l'ONU, le préjudice pour Cuba en dommages économiques se chiffrerait à 104 milliards de dollars. L'embargo pénalise les activités de la banque, les finances, les assurances, l'agriculture, la pêche, l'électronique et l'informatique pour ne citer qu ceux-là. Il faut reconnaître, par ailleurs, que certains différends entre Washington et La Havane restent substantiels, a estimé le porte-parole du département d'Etat John Kirby vendredi. Washington continue de s'inquiéter des restrictions à la liberté d'expression, de religion et de la presse sur l'île. Il y aussi le problème des 7 à 8 milliards de dollars d'indemnisations réclamées par les Américains expropriés après la révolution cubaine de 1959, dans 5.911 procédures judiciaires. Et Cuba abrite des fugitifs américains, comme l'ancienne Black Panther Joanne Chesimard, recherchée pour le meurtre d'un policier en 1973. Malgré les promesses du président américain Barack Obama de 2008, il n'a pas fermé la prison. Les Cubains espéraient qu'il la ferme et rende à l'île sa souveraineté sur les terres occupées par cette base militaire. Toujours est-il, la fin du statu quo diplomatique est en soi une amélioration, a jugé Roberta Jacobson, sous-secrétaire d'Etat à l'Amérique latine.