Des parcours différents, des réalisations diverses, mais la même motivation et espoirs émanaient de Tahar Hannache et Djamel Eddine Chanderli. Deux pionniers du cinéma algérien auxquels la librairie Chaib Dzair à Alger a rendu hommage ce mardi. Pour revenir sur les riches parcours de ces deux piliers du 7e art algérien, la librairie Chaib Dzair a fait appel au comédien Abdelhamid Rabia, qui détient des informations détaillées sur un bon nombre d'artistes du théâtre et du cinéma algériens. Avec sa manière singulière de déclamer les parcours des artistes, Rabia revient ainsi en premier, sur l'enfance, le parcours professionnel et la filmographie de Tahar Hannache, né Tahar Benelhannache le 26 novembre 1898 à Constantine. «Il est né, comme on dit, avec une cuillère d'argent dans la bouche. Khoudir, le père de Tahar était propriétaire d'une manufacture de tabac et d'une tannerie qui employait près de 500 algériens...Tahar était un petit garçon docile, studieux à l'école et curieux de tout. Les trains, la mécanique, la photographie, tout le fascine, mais ce qui le captive le plus c'est le cinéma qui fait ses premiers pas en ce début du 20e siècle... D'ailleurs, il ne manque jamais, après l'école, d'aller sur les places publiques où des ciné-bus projettent sur grand écran des documentaires de propagande...Il les décortiquait tous, séquence par séquence, scène par scène, plan par plan. Il est très attentionné par les éclairages, les musiques de fond et d'accompagnement, les jeux de rôle, les décors...Un jour, tout s'écroule autour de lui. Son père fait faillite et décède peu de temps après. Très affecté par cette perte, Tahar effectue son service militaire puis prendra la route de l'exil, en France où il espère réussir...», fera savoir Rabia. À Paris en 1922, commence, donc, la carrière de Tahar Hannache. Après un passage de simple figurant dans le film «L'Atlantide» de Jacques Feyder, Tahar fut tout de suite engagé. Grâce à sa connaissance des mœurs et coutumes arabes, Max Rieux le prit comme aide-opérateur et régisseur pour le tournage de «La grande Amie», «J'ai le noir» et «Le coussinet». Et, bien qu'il enchaîne les rôles aux côtés des plus grands acteurs de l'époque (Fernandel, Raimu, Viviane Romance), c'est dans le domaine technique qu'il s'illustre le plus au point de se voir sollicité par des réalisateurs de prestige à l'instar de Rex Ingram ou d'Abel Gance. Régisseur, opérateur, directeur de la photographie, metteur en scène, assistant-réalisateur puis réalisateur, il enchaîne les métiers liés au cinéma afin d'avoir une maîtrise complète dans le processus de fabrication d'une œuvre cinématographique... Le premier arabe et africain à avoir une carte professionnelle de cinéaste En 1938, Tahar est à l'apogée de sa carrière. Il crée alors sa propre boite de production qu'il nommera ‘TahaFilm' et signe sa toute première réalisation «Aux Portes du Sahara», une œuvre anticolonialiste qui disparaît après avoir sommeillé pendant près de quatre ans dans les tiroirs du distributeur (La Société Générale des Travaux Cinématographiques) à qui, Tahar Hannache l'avait confiée en vue de sa commercialisation. Abdelhamid Rabia fera savoir par la suite, qu'en 1942, Hannache devient le premier arabe et africain à se voir attribuer une carte professionnelle de cinéaste...et de poursuivre à la fin de la deuxième guerre mondiale, Hannache se rend au Maroc et signe «Sérénade à Meriem», l'un des premiers films marocains réalisés en langue arabe. Il réalise par la suite de nombreux documentaires et films dont le célèbre «Les plongeurs du désert» avec Himoud Brahimi dit Momo. C'est également sous sa houlette que seront produits, dés 1954, les premiers sketches de la télévision. Deux ans plus tard il se marie sur le tard à l'âge de 58 ans, et eut de sa jeune épouse quatre filles. A l'indépendance du pays, il est l'un des rares à demeurer en poste afin de permettre ainsi à la toute nouvelle RTA (Radio Télévision Algérienne) de succéder à l'ORTF sans qu'il y ait interruption d'émission des ondes. Sans prendre de retraite, il continuera à exercer jusqu'à son décès le 1er août 1972. Ses deux filles dont Thouraya l'aînée, dira qu' «elle dispose encore de toutes les affaires de son père, et d'un sacré paquet de documents qui lui permettront, espère-t-elle, d'écrire un livre sur son itinéraire. Un extrait du film : «La Fille du puisatier» de Hannache a été projeté au milieu de la rencontre, faisant découvrir au public présent, le professionnalisme et la vision futuriste de ce grand cinéaste. Djamel Eddine Chanderli, un pilier du cinéma algérien En seconde partie de cette rencontre, ce fut le parcours de Djamel Eddine Chanderli d'être mis en lumière. Illustre cinéaste et photographe passionné par son métier, Chanderli avait mobilisé sa caméra comme arme de combat, aux premières heures et au service de la guerre de Libération nationale. Originaire d'Annaba, Djamel-Eddine Chanderli voit le jour en 1920. Dès 1956, il rejoint le maquis et est considéré comme le premier Algérien à filmer les prémices de la Guerre d ́Algérie de l ́intérieur. En 1957, il fait partie de l'équipe du service du cinéma au sein de l ́ALN qui a été créé par le GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne). En 1958, il réalise avec Pierre Clément, Réfugiés algériens, un film sur les réfugiés aux frontières. Pour préparer le débat sur la question algérienne à l'ONU, Chanderli, Mohamed Lakhdar Hamina et Pierre Chaulet se voient confier, en 1959 par le GPRA, la réalisation de Djazaïrouna (Notre Algérie), un film de montage destiné à éclairer la communauté internationale sur les objectifs poursuivis par les maquisards algériens. En 1961, il réalise un court métrage de fiction qui raconte l'histoire de la petite Yasmina et de sa fuite après le bombardement de son village... «Pour Chanderli, le cinéma était une façon de voir et de capter l ́essence des choses. Il décède en 1990», dira Sid Ali Sekhri, l'animateur de la rencontre.