Les monarchies pétrolières du Golfe s'apprêtent à connaître des temps difficiles avec la chute des cours du brut et après une décennie de forte croissance durant laquelle elles n'ont pas suffisamment diversifié leurs économies, selon des analystes. L'impact de la dégringolade des cours, qui ont baissé de moitié depuis la mi-juin, s'annonce sévère pour les six pays membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG - Arabie saoudite, Bahreïn, Emirats arabes unis, Koweït, Qatar et Oman), qui pompent 17,5 millions de barils par jour (mbj). Ils devraient perdre la moitié de leurs pétrodollars, soit quelque 350 milliards de dollars par an, aux prix actuels. Les recettes pétrolières assurant jusqu'à 90% des revenus de la plupart d'entre eux, les gouvernements s'attendent à des déficits budgétaires en 2015. Des réductions des dépenses devraient donc être décidées et de nouvelles taxes imposées, susceptibles de provoquer une grogne populaire et, probablement, un ralentissement économique. La chute des cours du brut a déjà commencé à frapper fortement les Bourses des six monarchies, qui ont vu s'envoler des milliards de dollars, notamment au détriment de grandes firmes comme Emaar (immobilier) et Arabtec (construction) de Dubaï. Des économistes s'inquiètent de la fragilité structurelle économique des six monarchies en dépit des énormes réserves financières qu'ils ont accumulées. Le modèle de croissance qui prévaut dans la plupart des pays exportateurs de pétrole a fait qu'ils restent vulnérables à une baisse soutenue des prix du brut, avertit le Fonds monétaire international (FMI) dans une étude qu'il a intitulée Il est temps de diversifier. L'économiste koweïtien Jassem al-Saadoun pointe leur trop forte dépendance à la manne pétrolière. Les Etats du Golfe ont manqué l'occasion de réformer et de diversifier leur économie, souligne-t-il. De ce fait, souligne l'agence de notation financière Standard and Poor's dans un récent rapport, un déclin prolongé des cours du brut risque d'affecter les grands projets d'infrastructures et, par conséquent, le secteur privé. S&P a abaissé ses perspectives pour l'Arabie saoudite, Oman et Bahreïn, même si elle a maintenu leurs notes en raison de leurs énormes réserves en devises. Choix impopulaires Selon le FMI, à l'exception d'Oman et de Bahreïn, déjà déficitaires, les autres membres du CCG ne seront pas lourdement affectés à court terme car ils peuvent puiser dans leurs réserves estimées à 2.500 milliards de dollars. Mais cela n'offre qu'un coussin temporaire, a-t-il prévenu. Certains ont commencé à se serrer la ceinture. Si l'Arabie saoudite a affirmé maintenir le niveau élevé de ses dépenses, le Koweït a ordonné de réduire les dépenses et de reconsidérer les subventions sur l'essence et l'électricité. Aux Emirats, Dubaï projette d'augmenter les frais d'électricité et d'eau, et d'autres pays devraient suivre. Selon l'agence Moody's, les monarchies du Golfe pourraient commencer par des coupes budgétaires dans les projets d'investissement non-stratégiques, mais elles finiront par faire des choix délicats. Ralentir ou reconsidérer la croissance des dépenses courantes du gouvernement, incluant une réforme des subventions, sera d'autant plus difficile que les gouvernements cherchent à satisfaire les demandes d'aide sociale, note Moody's. Les dépenses publiques des monarchies ont explosé ces 15 dernières années, augmentant d'environ 150 milliards de dollars en 2000 à 547 milliards l'an dernier, alors que les revenus pétroliers bondissaient de 100 à 729 milliards. Mais ces dépenses ont plus favorisé les salaires et les subventions que l'investissement en capital. Les dépenses courantes ont dépassé de loin les dépenses en capital, souligne M.R. Raghu de Kuwait Financial Center (Markaz). La Banque mondiale a appelé les pays du CCG à réduire d'urgence les subventions sur l'énergie, d'un montant annuel de 160 milliards de dollars, et M. Saadoun estime inévitable que ces pays introduisent des taxes. De telles mesures risquent d'être impopulaires. Mais le fait de les retarder signifierait des efforts plus drastiques qui pourraient déclencher des troubles sociaux, selon M. Saadoun. Ces mesures sont politiquement sensibles mais l'alternative est un Printemps arabe dans le Golfe. Les options ne sont pas faciles, avertit-il.