L'Algérie réussira-t-elle à rompre définitivement avec la «culture de la mono exportation» dans les prochaines années ? «Administrativement, il est plus facile d'importer que de produire», déplore le président de l'Association des producteurs algériens de boissons (Apab), Ali Hamani, en réponse à cette question. Mais, nuance-t-il, «il est possible de produire en Algérie pour substituer les importations, à condition d'améliorer la qualité et répondre à plusieurs exigences commerciales». «L'administration doit être à l'écoute des opérateurs», ajoutera M. Hamani à propos des recommandations retenues à l'issue de la conférence nationale sur le commerce extérieur, organisée les 30 et 31 mars à Alger. Abderrahmane Benkhalfa, ancien délégué général de l'Association des banques et des établissements financiers (Abef) a déclaré qu'il faut rompre avec «les traitements politiques des questions économiques». Benkhalfa est convaincu qu'un marché ne réagit pas par des injonctions institutionnelles mais est stimulé par le gain. «Les problèmes économiques doivent être traités économiquement, or la licence d'importation et le crédit documentaire, par exemple, sont des procédures administratives.» «Cela fait quinze ans que nous luttons avec des mesures administratives et les phénomènes restent les mêmes : les importations augmentent, l'inflation grimpe toujours et le secteur informel est toujours présent», a-t-il souligné, insistant sur «les traitements administratifs qui ne suffisent pas et il faut travailler dans la durée, soit sur une période de quatre à cinq années». Le crédit documentaire «renforce la position du fournisseur», bien que les acteurs économiques doivent avoir la possibilité de choisir le moyen de payement. «Il faut rompre la relation entre l'économie et la politique y compris avec le langage populiste», prôné par la centrale syndicale qui appelle notamment à retirer le registre du commerce aux entreprises étrangères d'importation. «Le problème est de s'installer dans l'économie mondiale. Nous avons les compétences et les moyens, mais il est nécessaire de revoir le management et la gouvernance», préconise M. Benkhalfa. Quant à Rachid Alliouche, enseignant-chercheur à l'Ecole des hautes études commerciales d'Alger (EHEC), il pense que «toutes les politiques économiques mises en œuvre par les différents gouvernements qui se sont succédé n'ont pas réussi à rompre avec la culture mono exportatrice». Même situation depuis 1970 Ce constat relevé, pourtant depuis de longues années, persiste et «la dépendance des hydrocarbures comme pratiquement la seule source de revenus et de financement des plans de développement remonte aux années 1970», a-t-il écrit dans une contribution éditée sur une publication du Centre national du registre de commerce (CNRC). Les importations effectuées durant les quinze dernières années ont dépassé 500 milliards de dollars mais la contribution à la croissance économique est restée en deçà des objectifs assignés, souligne, pour sa part, Mesbah Abdelmadjid, enseignant à l'université EHEC. L'excédent de la balance commerciale a sensiblement baissé entre 2005 et 2014, passant de 24,98 milliards de dollars à 4,62 milliards de dollars en 2014, soit un recul de 20 milliards de dollars. «Cette tendance s'explique simultanément par une hausse des importations», note l'enseignant universitaire. Sur le plan pratique, des exportateurs réclament «la levée des contraintes de différents ordre». «Nous n'avons pas besoin des aides de l'Etat mais du règlement des problèmes rencontrés au niveau du port notamment», a relevé Boudjemaa Ifri, président d'Algérie consortium des industriels agroalimentaires (Acia) et premier responsable de Ifri Olive, qui exporte vers 17 pays. Les investisseurs dans le secteur agricole ont besoin de «facilités d'accès au foncier agricole», a-t-il souhaité. La création du consortium, qui regroupe actuellement 45 entreprises, vise notamment à mieux représenter le produit algérien à l'étranger. Dans son appel aux pouvoirs publics à lever les obstacles bureaucratiques qui bloquent l'essor de la production nationale et, du coup, l'exportation des produits hors hydrocarbures, il met le doigt sur les lenteurs des contrôles douaniers et les retards accusés au niveau des ports. Lors d'une opération d'exportation, il a fallu attendre 20 jours pour un contrôle douanier, déplore cet exportateur qui déplore le recours au marché parallèle de la devise pour pouvoir disposer des sommes nécessaires lors des voyages à l'étranger. De son côté, Sofiane Allou, responsable commercial à la Câblerie algérienne de Mostaganem, entreprise spécialisée dans la fabrication des câbles, déplore la concurrence déloyale induite par des importations de moindre qualité. A moindre prix, ces produits sont favorisés par rapport aux produits fabriqués localement. Même lors des appels d'offres nationaux, ce sont ces produits d'importation qui sont retenus. Face à cette situation où son produit est boudé, c'est le marché de l'exportation qui est visé actuellement et des négociations avancées sont engagées avec deux pays européens, a-t-il annoncé. Pour M. Hamani, l'épuration de l'environnement administratif est la première action à réaliser pour développer les exportations hors hydrocarbures. Un grand nombre d'exportateurs sont affrontés à de multiples difficultés au niveau des ports notamment. Outre l'exigence d'améliorer la qualité des produits, les producteurs doivent bénéficier de certaines mesures, comme la création d'un terminal ou d'un port spécialisé dans l'exportation. Actuellement, la priorité est donnée aux importateurs pour décharger ou manipuler les conteneurs. Paradoxalement, la hausse des coûts de production en Algérie est confrontée par des baisses des produits importés, s'étonne le président de l'Apab. Il pense que ces produits importés ne sont pas conformes aux normes de qualité. Il redoute aussi «un trafic sur le plan de dénomination», suggérant des vérifications de l'authenticité de ces produits. «Certains jus importés le sont-ils réellement ou s'agit-il d'un autre produit portant uniquement cette appellation», s'est-il demandé. Par ailleurs, la simple comparaison des chiffres du Centre national du registre de commerce (CNRC) en termes d'importation et d'exportation, il est facile de relever que les importateurs sont beaucoup plus nombreux que les exportateurs. Les Syriens, premiers importateurs étrangers en Algérie Selon le CNRC, le nombre d'entreprises inscrites au registre du commerce dans le secteur de l'import et export s'élève à 42 497 (activités principales et secondaires) dont 41 641 opérateurs dans les activités d'importation exercées exclusivement sous forme de sociétés commerciales et 1156 opérateurs dans les activités d'exportation. Les entreprises qui interviennent dans le commerce extérieur sont dominées par les activités d'importation dans une proportion de 98%, précise le CNRC. Les sociétés d'importation sont essentiellement implantées à hauteur de 62% dans quatre wilayas du Nord, soit Alger, Oran, Sétif et Constantine. La wilaya d'Alger représente à elle seule 16 788 importateurs soit 40,3% du total national. Les entreprises exerçant les activités d'exportation sont majoritairement implantées dans les wilayas du Nord avec une proportion de 50%, suivies des wilayas de Biskra et Tamanrasset avec une proportion de 12%. A Alger, on compte 361 importateurs, soit 31% du total. Entre 2010-2015, le nombre d'entreprises exerçant dans l'import-export a évolué de 25,2% passant de 33 251 en 2010 à 41 641 commerçants à fin janvier 2015. Une moyenne de 2000 nouveaux importateurs a été observée par année pendant la période (2010-2014), qui viennent s'ajouter aux opérateurs déjà opérationnels, ajoute la même source. S'agissant des exportateurs, il a été enregistré une faible augmentation du nombre de ces opérateurs passant de 855 à 1156. A propos des entreprises étrangères exerçant dans l'import-export, le CNRC indique qu'au 31/01/2015, un nombre de 2489 entreprises étrangères sont inscrites au registre du commerce dans l'import-export. Elles sont 2319 sociétés étrangères à exercer dans l'importation. Ce secteur est dominé par la Syrie avec un taux de 16,4 % suivi de la France avec 14,5% et la Chine avec 9,7%. Dans le domaine de l'exportation, 170 entreprises étrangères exercent dans l'exportation. Les exportateurs Syriens sont plus nombreux et représentent 13,3%, suivis par les Tunisiens (12,7%) et les Français (10,9%). Pour rappel, parmi les recommandations retenues lors de la conférence nationale sur le commerce extérieur figure «la nécessité de rallonger les délais de rapatriement des revenus des opérations des exportations à 365 jours, de développer de nouveaux instruments de financement des opérations d'exportation et de promouvoir la fonction de conseil à l'export au niveau des grandes agences bancaires». Elles portent aussi sur le développement de réseaux de correspondants des banques algériennes au niveau des pays de destination et la dépénalisation de l'acte d'exportation, en raison des risques auxquels sont soumis les exportateurs, dans certains cas au défaut de rapatriement. D'autres mesures ont été proposées pour la révision de certaines lois en plus du renforcement des rôles de certains organismes chargés du soutien des exportations hors hydrocarbures.