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«Nous avons décidé de soutenir former et armer des islamo-terroristes dont l'idéologie est à l'oppos
Erice Denécé, directeur du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R), au Temps d'Algérie :
Publié dans Le Temps d'Algérie le 09 - 01 - 2015

Eric Denécé, ancien officier des services secrets français et actuellement directeur du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R), évoque dans cet entretien l'attaque terroriste qui a ciblé le siège de Charlie Hebdo à Paris et regrette la politique française envers la Syrie.
Une politique qu'il qualifie d'«irrationnelle» et qui n'a fait que bénéficier aux organisations terroristes. Eric Denécé, qui a occupé plusieurs postes stratégiques dans le domaine du renseignement et de la sécurité, dont celui de consultant pour le ministère français de la Défense concernant l'avenir des forces spéciales, également auteur de plusieurs ouvrages dans ce domaine, parle également des «islamistes» radicaux qui menacent la France et évoque les «djihadistes» français partis pour le prétendu «djihad» en Syrie et le danger qu'ils représentent pour la sécurité de la France.

Le Temps d'Algérie : La France est frappée par un violent attentat terroriste. 12 morts au siège de Charlie Hebdo. Comment cela a-t-il pu être possible ? Cet attentat était-il prévisible ? La France devrait-elle se préparer à d'autres éventuels attentats terroristes ?
Eric Denécé : Malheureusement, une action de ce type était attendue, même si personne ne savait quand et contre qui elle aurait lieu. Nous savions cependant que Charlie Hebdo était une cible. En effet, un des numéros de 2013 du magazine Inspire d'Al-Qaïda, publié en anglais, donnait la description exacte de la manière dont ont été assassinés les membres de la rédaction de Charlie Hebdo. Cela veut donc dire que les frères Kouachi n'ont fait qu'exécuter une sorte de «fatwa» et qu'ils n'ont pas choisi leur objectif eux-mêmes.

Selon des informations publiées par des médias, 1100 «djihadistes» français auraient rejoint l'organisation terroriste «Etat islamique» (EI ou Daech) en Syrie. Représentent-ils aujourd'hui une menace pour la sécurité de la France?
Nous estimons aujourd'hui qu'il existe entre 1500 et 2000 terroristes potentiels, en France ou dans des camps à l'étranger. Bien sûr, c'est énorme et c'est donc une menace majeure pour notre pays. Mais cela n'est pas non plus nouveau, même si leur nombre s'accroît régulièrement. Rappelons que les premières manifestations de ce phénomène ont commencé en 1995, avec la guerre en Bosnie. Il y a donc deux décennies que nos services luttent efficacement contre ces djihadistes.

Le président François Hollande a aidé ce qui est appelé l'«opposition syrienne» par des livraisons d'armes, notamment. Cela n'a-t-il pas été profitable aux organisations terroristes, dont l'EI, Al Qaïda et le Front Al Nosra sévissant en Syrie ? La France n'aurait-elle pas eu intérêt à coopérer avec l'Etat syrien pour l'échange de renseignements au sujet des «djihadistes» français partis faire la guerre en Syrie au lieu d'armer ce qui est appelé «l'opposition» ?
Evidemment, notre politique sur la question syrienne a été irresponsable et largement irrationnelle. Certains, au Quai d'Orsay, en ont même fait une affaire personnelle. C'est affligeant et cela s'est révélé contraire à nos intérêts. Cela est surtout paradoxal : nous avons décidé de soutenir, former et armer des islamo-terroristes dont l'idéologie est à l'opposé de nos valeurs pour renverser le régime de Damas qui, s'il n'est pas démocratique, n'en est pas moins infiniment plus respectable et moins dangereux que les fous d'Allah auxquels il fait face. Dans ce dossier, l'influence de nos «amis» qataris et saoudiens a été déterminante. Nous nous sommes finalement presque comportés comme des exécutants.

Comment voyez-vous la suite des événements sécuritaires en sol français ?
Cela est très difficile à dire. Nous pouvons aussi bien avoir de multiples attaques de ce type dans les prochains mois… comme rien du tout. Il convient également de s'attendre à quelques tentatives d'attaques idiotes contre des mosquées, de la part de Français excédés et pour certains extrémistes, qui confondent musulmans et islamistes. De tels actes seraient particulièrement contre-productifs parce que c'est justement ce que veulent les terroristes : dresser le pays contre la communauté musulmane, laquelle est à 98% tout à fait hors de cause. Aussi, le gouvernement veille-t-il au grain et les médias et la population multiplient les appels pour empêcher tout amalgame.
Nos amis Algériens savent que la France n'a aucun problème avec l'Islam ; mais en revanche, ils doivent comprendre que nous avons sur notre sol un vrai problème avec les islamistes radicaux (probablement entre 50 000 et 100 000), ces barbus qui veulent imposer leur vision obscurantiste du monde dans nos banlieues et remettre en cause les lois républicaines.
Comment expliquez-vous que les terroristes auteurs de l'attentat contre Charlie Hebdo, qualifiés de «professionnels» par certains médias, aient oublié la carte d'identité de l'un d'entre eux dans la voiture ?
D'abord, parce que les médias français ne connaissent pas grand-chose aux terroristes, leurs commentaires sont parfois étonnants. Sans doute s'attendaient-ils à ce que les criminels éclatent en larmes après avoir massacré l'équipe de Charlie Hebdo. Non, les frères Kouachi ne sont que des semi professionnels, leur opération comportait de nombreuses lacunes (mauvaise identification du bâtiment, méconnaissance du code d'accès, itinéraire de repli non préparé, etc.). En revanche, ce sont des criminels chevronnés.

Les assaillants étaient connus des services de sécurité français. N'étaient-ils pas suivis ?
L'un des frères Kouachi était connu, donc surveillé et suivi. Mais dans la mesure où il ne paraissait pas actif dans le milieu islamiste radical et terroriste, les services ont allégé leur surveillance. C'est alors qu'avec son frère, ils ont décidé de passer à l'action. Finalement, comme Mohamed Merah, ces criminels ont étudié comment fonctionne notre système et font ce qu'il faut pour «endormir» les services de sécurité.

Les services de renseignements français font l'objet d'une réforme. L'attentat terroriste contre Charlie Hebdo devrait-il être pris en considération dans cette réforme, de manière à pouvoir prévenir de tels attentats avant qu'ils n'aient lieu ?
Sincèrement, je ne le crois pas, pour trois raisons. D'abord, notre système marche : nos services ont empêché environ 70 attentats depuis 2001 (soit environ 5 par an) et, sur la même période, nous avons à déplorer 45 victimes françaises du terrorisme international, en France et à l'étranger. Soit une moyenne de 3,5 morts par an ! D'autre part, il n'est pas question que nous nous transformions en un Etat policier – à l'image des Etats-Unis – en arrêtant et en emprisonnant systématiquement tout suspect, cela serait à la fois disproportionné et contraire à notre système juridique et diplomatique. D'ailleurs, nos moyens policiers et pénitentiaires ne nous le permettent pas. Et le niveau de menace actuelle ne justifie pas de tels procédés. Enfin, il nous faut accepter, même si cela est dur, que de temps à autre, des terroristes parviennent à passer entre les mailles du filet et à commettre des attentats. Il faut être réaliste, la sécurité à 100% est une utopie. Il faut toutefois revoir certaines méthodes d'évaluation des terroristes potentiels et se préparer à un accroissement de la menace.

La France revoit-elle ses liens diplomatiques avec d'autres pays, dont certains du Golfe, qui soutiennent, financent et arment des mouvements «djihadistes» ?
Pas encore, mais il serait temps que nous le fassions. D'une certaine façon, nous payons notre engagement irraisonné dans le dossier syrien où la diplomatie française a été en première ligne pour essayer de renverser Bachar Al Assad. Nous avons contribué, aux côtés du Qatar, de l'Arabie saoudite, de la Turquie et des Etats-Unis à encourager le phénomène djihadiste qui est aujourd'hui devenu Daech et qui nous envoie des bombes humaines à retardement en France

Finalement, à qui profite ce crime, à savoir cet attentat contre Charlie Hebdo ?
Paradoxalement, il profite d'abord à la France. Les criminels qui ont commis cet acte odieux et leurs commanditaires ont finalement provoqué un effet auquel ils ne s'attendaient pas : la réaction unanime du peuple français et sa solidarité, afin de dire que le terrorisme ne gagnerait jamais. Ainsi, les horreurs commises renforcent notre détermination et marginalisent davantage encore ces idéologies haineuses issues d'une lecture déformée de l'Islam.

Que pensez-vous de la réaction des médias et de l'opinion français par rapport à ces actes ?
Ces crimes sont proprement odieux, car c'est à la fois la France et la liberté de la presse qui sont visées. Et chaque Français s'associe à la douleur des familles qui ont perdu l'un des leurs. Toutefois, il y a clairement une surréaction – compréhensible – des médias et de l'opinion, notamment lorsque l'on parle d'un 11 septembre français. Mais c'est totalement inapproprié, il n'y a pas eu 3000 victimes ! La société française n'est plus habituée (et c'est tant mieux) à la violence. Mais les médias oublient parfois de garder la tête froide. Malgré l'horreur des attentats, qu'est-ce que sont 12 victimes comparées au 11 septembre, aux attentats de Madrid ou surtout aux victimes algériennes des années noires et de la guerre civile syrienne ?


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