Les caméras comme les regards ont ceci de problématique : on ne peut pas toujours leur faire dire ce qu'on veut. C'est le cas à l'orée de chaque hiver, quand dans le ciel pas toujours serein, tourbillonnent quelques flocons. Sans doute pour faire «comme là-bas», la télévision publique ne se lasse pas de nous montrer les manteaux neigeux censés éveiller en nous une esthétique de la nature que nous aurions oubliée, par désinvolture ou par paresse, à moins que ce ne soit par manque de goût. Les reliefs de notre vaste pays recouverts de poudreuse sont sûrement très beaux. Dans les hauteurs, mais parfois aussi dans certains espaces de moindre altitude comme c'est le cas cette fois-ci, le pays se vêt de blanc. Ça arrive de moins en moins en raison du réchauffement climatique, comme nous l'expliquent les scientifiques, mais ça arrive quand même. La climatologie, un peu comme le foot, n'est pas encore une «science exacte». Avant cette vague neigeuse qui a touché une bonne partie du nord du pays, certains endroits montagneux ont été touchés en «éclaireurs». Cartes postales tenaces, c'est encore Chréa et Tikjda qui ont inauguré le bal avec les caméras de l'ENTV qui semblaient installées là depuis les premières feuilles mortes, à guetter le moindre flocon. Et les premiers et rares algériens que la neige amuse, comme des êtres venus d'ailleurs. Emmitouflés dans de chauds habits, de grosses voitures laissées sur le bas-côté de la route, des enfants et des adultes, des hommes et des femmes «s'éclatent» ou font semblant de s'éclater. Un peu à l'image de l'ENTV qui fait semblant de faire comme les télés de «là-bas» pour montrer des images de quidams fous de bonheur de glisser et de se lancer des boules de neige. Il n'y a pas de station de sports d'hiver, il n'y a pas de pistes de ski, il n'y a pas de luges pour les enfants et il n'y a pas d'auberges où trouver les repas et le café chauds après de glaciales remontées, mais on… s'éclate. Et puisque les caméras sont miraculeusement là pour si peu, il faut quand même mériter son gros plan et jouer le jeu. A fond. Mais les caméras comme les regards ont ceci de problématique : on ne peut pas toujours leur faire dire ce qu'on veut. Sinon, on serait allé plutôt dans le pays profond, voir ceux que la neige n'a jamais vraiment amusés. La où on appelle les choses par leur nom. Là où la neige accentue la détresse des laissés-pour-compte. Des enfants verdis par le froid et l'indigence des repas, où les toits menacent de tomber et les femmes enceintes prient le ciel de repousser le terme de la grossesse à un jour plus clément. Quand la route sera dégagée et la bouteille de butane moins problématique. Ici, les caméras n'arrivent pas parce que la route est bloquée. les sourires sont trop figés par les gerçures pour capter les zooms et les visages trop marqués pour simuler le bonheur. Ça se verrait tout de suite. Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.