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Les sinistrés à la case départ
30 ans après le séisme d'El Asnam
Publié dans Le Temps d'Algérie le 09 - 10 - 2010

Octobre 1980-octobre 2010, 30 ans. Stand by. Si assurément certaines choses ont changé depuis le séisme qui fait désormais date dans l'histoire contemporaine de l'Algérie, sur plusieurs plans et pour des lectures sérieusement controversées d'ailleurs, il est quasiment certain que beaucoup reste à faire
en matière de gestion de la période post-séisme qui a vu se greffer à ses stigmates des histoires parfois énigmatiques, souvent symptomatiques d'une appréhension décalée d'une situation pourtant claire qui n'a fait que compliquer la donne et causer… de puissantes répliques comme celle d'il y a presque 3 années qui a mis Chlef à feu et à sang et provoqué le départ du wali, accusé de mauvaise gestion.
Sinon, comment expliquer les quelque 6000 chalets de Chettia, commune surpeuplée, «la plus dense d'Afrique», comme se plaisent à la qualifier ses habitants ? Des chalets encore debout face aux caprices de la nature, où «séjournent» pour l'éternité peut-être des familles qui s'élargissent au fil du temps qui passe à la vitesse de l'éclair. De véritables smalas qui ne cherchent au bout du compte qu'une bouffée d'air pour respirer les senteurs de l'Indépendance «autant de fois déclamée, telle une prose, par ceux-là mêmes qui l'ont détournée». Zoom.
Première escale de notre virée chélifienne en cette journée inhabituellement suffocante d'octobre, les locaux de la direction de l'urbanisme de la wilaya. Aux nombreux services visités après avoir emprunté des corridors vides et mal éclairés, l'on s'affaire à «régler quelques affaires». Des dossiers de logement, LSP, sociaux, habitat précaire ou de quelque autre formule sont le sujet principal des discussions à peine audibles qui nous parviennent des bureaux.
Et en dernier lieu, l'on traite de l'aide à l'autoconstruction, du logement rural dans lesquels sont «recaséese les victimes du tremblement de terre. Ces derniers, propriétaires des parcelles de terrain où sont implantés les chalets que les officiels ont promis d'éradiquer, ou «locataires endettés» en attendant des jours meilleurs, ont eu beaucoup de promesses avant de voir leurs rêves fondre petit à petit comme neige au soleil. On baisse encore le ton lorsque nous rentrons presque sans prévenir.
Ça parle affaires, marchés, contrats. C'est encore d'un air on ne peut plus méfiant que le responsable de la Direction de l'urbanisme de la construction et de l'habitat (Duch) nous toise une fois que nous nous sommes présentés. «Nous sommes venus nous enquérir de la situation des victimes du séisme de 1980», avons-nous expliqué.
«Nous ne nous occupons pas de ce volet», tente de justifier ce responsable avant qu'il n'appelle Mlle Alaoui, une autre responsable qui est venue nous parler des études géotechniques lancées depuis 2000 des plans d'occupation du sol (POS), des PDAU… etc. Un véritable bilan «bureaucratique». Loin, très loin de ce que nous attendions. Notre question était pourtant claire. La solution pour les sinistrés. Le travail qui a été fait pour remédier à une situation intenable qui dure depuis des lustres.
«Oui, les sinistrés sont aussi concernés par des opérations de relogement», admet enfin le premier responsable qui ne fait que rappeler «le cadre légal» de cette opération, oubliant sciemment d'évoquer la gestion catastrophique du «dossier séisme», remisé au placard et ressorti à chaque fois que c'est nécessaire, soutenu par d'autres décisions,
de nouvelles mesures gouvernementales pour la prise en charge des sinistrés, comme c'était le cas au lendemain des émeutes d'avril 2008 où deux ministres se sont déplacés pour y annoncer des mesures : «vous serez maintenus sur vos parcelles avec possibilité d'achat», les a-t-on alors rassurés.
Les sinistrés «recasés» dans… le logement rural
A vrai dire, à Chlef, il n'est pas question de relogement proprement dit, comme c'est le cas à Alger par exemple. La réalité est tout autre, comme vont nous l'expliquer plus bas les habitants de Chettia. 100 millions de centimes sous forme d'aide devaient être accordés à chaque sinistré, (c'est une disposition de la loi de finances 2006, ndlr) et 100 autres millions sous forme de crédit bancaire.
C'était «conséquent» comme somme pour les propriétaires des chalets, bien plus pauvres pour leur majorité pour pouvoir détruire et construire une demeure décente «qui n'agressera pas le paysage» urbain de Chlef avant que l'ex-ministre de l'Intérieur, Yazid Zerhouni, ne décide de revoir cette «copie» qui plaît pourtant aux concernés.
Une «révision comme pour une liste électorale», nous déclarera avec un mépris à peine voilé un employé de la Direction du logement et des équipements publics (Dlep) ayant requis l'anonymat, lui-même touché par le séisme. Conséquence, la ville de Chlef et ses localités ont été enflammées en avril 2008.
Les sinistrés ne devraient donc bénéficier, avec les conditions requises en sus, que de la modique somme de 700 000 dinars sous forme d'aide à l'autoconstruction avec tous les aléas que cela pose pour des démunis desquels, comme le stipule la réglementation pour ce genre de formule, l'on exige d'abord de «bouffer» le peu d'économies dont ils disposent dans les fondations et la plate-forme avant que ne soit versée la somme de 175 000 dinars comme première tranche.
«L'opération marche bien», s'empressera pourtant d'annoncer le responsable de la Duch qui reconnaît tout de même qu'il y a des réticences pour l'acquisition de cette aide considérée comme «hogra» par les victimes du sinistre. Il s'empressera également, façon de se débarrasser d'une présence qui risque à la longue d'être beaucoup trop encombrante dans les locaux de la direction, de nous orienter vers la cellule «Préfab» (celle qui s'occupe de la réception des dossiers) pour de plus amples renseignements.
L'agent posté dans le local de la cellule doté d'un ordinateur est, le moins que l'on puisse dire, «choqué» de se retrouver nez à nez avec «les gens de la presse» pourtant venus faire leur travail. Il devait, imaginez bien, appeler le chef de daïra avant de nous donner quelques chiffres sur l'avancement des dossiers de ceux qu'il appelle «s'hab chaliete» (les propriétaires des chalets), comme si ces derniers sont une catégorie à part d'Algériens. La réponse du commis de l'Etat ne s'est pas fait attendre :
niet catégorique. Il n'y a pourtant rien de «compromettant» dans le fait d'annoncer le nombre de dossiers déposés. «Tout ce que je peux vous dire, c'est comment se déroule l'opération du début jusqu'à la fin», dit-il en commençant alors à «réciter» un texte qu'il a du apprendre par cœur.«Nous ne sommes pas des sinistrés», avons-nous interrompu. «J'en suis un», lâche-t-il d'une voix étouffée par la peur de commettre une erreur grave. Il y a comme un relent de non-dits dans cette histoire.
«Nous devons bénéficier de l'argent du pétrole»
Ce n'était pas encore aussi clair pour nous pour pouvoir justement éclairer davantage nos lecteurs sur une situation en stand by depuis 30 ans. Les victimes du séisme sont à même, avons-nous jugé, de nous ouvrir leurs cœur, de dire des vérités «vérifiables». Cap sur l'une des plus grandes communes de la wilaya. Chettia, à la veille même de la célébration de ce symbolique 30e anniversaire du tremblement de terre de l'ex-El Asnam.
Un ex-nom qui rime bizarrement avec ruines. De nombreux habitants que nous avons rencontrés se ruinent pour se reconstruire une vie plus ou moins décente. Une envie folle de s'extirper d'une descente aux enfers qu'ils n'ont à aucun moment souhaitée se lit sur leurs visages. De leurs yeux pétillants se dégagent une amertume, une colère justifiées par les rides trop nombreuses de leurs … âges farouches, comme leur caractère, aux injustices, très austère.
«Oui, il y a des injustices», coupe un jeune du «bas quartier» de Chettia rencontré devant la demeure familiale. Un chalet et un semblant de construction en dur, clôturé par un mur. «Si on nous donne 350 millions de centimes, on peut dire que ça va. On peut achever la construction et démolir alors la baraque qui, de toute façon, au bout de dix ans, présente un risque de maladies», dit-il, avouant que lui et bon nombre d'habitants du quartier «refusent de se leurrer».
Il évoque l'argent du pétrole «qui ne bénéficie qu'aux riches», le refus de quitter les lieux «quoi qu'il arrive». «Nous sommes ici dans la plus grande commune d'Afrique, depuis le séisme», fait-il remarquer, déplorant «les magouilles sur notre dos». Pour lui et son voisin venu se joindre à nous, il n'y a pas l'ombre d'un doute :
«L'ex-wali a voulu nous déloger pour nous mettre dans la cité 2000, une cité dortoir. C'est pour qu'il profite lui et ses amis. Nous devons profiter nous aussi des richesses du pays», estiment les deux compères. Pour eux, l'Etat leur a consacré une énorme enveloppe budgétaire, 200 millions de centimes pour chaque victime. «De l'argent détourné indirectement», affirment-ils, allusion faite à la nouvelle formule dans laquelle ils sont «casés», l'autoconstruction.
«C'est inconcevable que des victimes de la plus grande catastrophe du pays soient classés dans cette catégorie» peste un autre citoyen de Chettia qui fait remarquer que la plupart des habitants sont pauvres. «Il y a même ceux qui n'ont pas encore honoré leurs dettes. Ils sont toujours locataires mais risquent un jour de se faire évincer de leurs terres», note-t-il. A «la cellule préfa» de Chettia comme on l'appelle ici, l'on rassure que l'Etat a décidé,
«conformément aux directives du président de la République», de faciliter les procédures pour l'acquisition définitive de chalets au nombre de 6000, et terrains pour ceux qui ne l'ont pas encore fait. Le prix du mètre carré est dérisoire selon la représentante de la cellule. 32 DA le mètre carré. «Non, j'ai payé 110 da/le m2 en 1991» contredit un acquéreur qui estime toutefois que c'est un prix très abordable, précisant que les coûts ont été revus à la hausse.
«Il faut régler ses dettes pour pouvoir bénéficier d'une aide»
«Pour bénéficier d'une aide, il faut régler ses dettes», une condition sine qua non, selon la jeune fille de la cellule qui révèle que jusqu'à octobre, 286 dossiers ont été déposés dont 150 ont reçu le OK». A l'échelle de la wilaya, l'on dénombre 18 316 chalets selon les statistiques fournies par la Dlep. Seulement 937 dossiers ont été reçus. 825 sont validés alors que des décisions définitives ont été accordées pour 820 dossiers.
Ce peu d'engouement pour l'aide s'explique par plusieurs raisons. «On ne veut pas d'une aide qui n'en est pas une», déclare Mohamed, qui se borne à répéter que «l'Etat nous a accordés 200 millions». «Ce sont au fait 100 millions de centimes au départ en plus d'une autre somme équivalente sous forme de prêt «, confie la jeune femme de la cellule.
«Les gens qui s'empressent de prendre les 70 millions sont connus. Ce sont des gens aisés», ajoute Mohamed. La pauvreté des ménages qui se sont multipliés depuis le séisme, la cherté des matériaux de construction et les conditions exigées pour entamer la construction ou l'extension, sont aussi des facteurs dissuasifs.
«Il y a de la manipulation dans l'air», estime pour sa part une source de la Dlep qui veut garder l'anonymat qui s'exprimait à propos de la colère de 2008. «Certes, l'aide a été revue à la baisse depuis un certain temps mais il faut reconnaître que l'Etat fait tout de même tout pour faciliter la tâche aux sinistrés», dit-il relevant le fait que le prix du mètre carré demeure dérisoire sur les sites des chalets. Il nous confiera quand même que «ce n'est pas de cette manière qu'on réglera un problème aussi complexe».
Un citoyen de Oued Fodda rentre pour se renseigner alors que nous discutions avec le responsable de la Dlep. Il avoue au détour d'une petite conversation que les citoyens recourent souvent au système D. Les chalets sont revendus d'après lui entre 80 000 et 250 000 dinars selon leurs qualités. «Une fois la construction entamée, le chalet est démonté et revendu à des particuliers».
Une chose est sûre. A Chlef, l'on se débrouille comme on peut, des fois l'on habite chez de la famille le temps d'ériger la nouvelle bâtisse, ou «serrés dans celle qui existe déjà» à côté de la baraque en attendant de parachever les travaux, le chalet devant être démoli. Des centaines de familles vivent le calvaire, surtout en hiver avec les pluies diluviennes qui s'abattent régulièrement sur la région, s'infiltrant aisément dans les maisons. «Nous ne cherchons qu'à éviter le pire à nos enfants", dira un autre citoyen.
Le problème de Chlef est beaucoup plus qu'une question de mentalité, d'entêtement. Il va bien au-delà. Si il est vrai que les habitants des chalets, habitués à ces petites parcelles de terre qu'ils cultivent, ne veulent plus aller ailleurs de peur de se retrouver dans l'inconnu, il est aussi vrai qu'ils ne doivent pas vivre éternellement dans la précarité. 30 ans après le séisme dévastateur d'El Asnam, les choses restent presque en l'état alors que l'Etat a dépensé énormément d'argent.


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