L'histoire de l'avocat des droits de l'Homme et des islamistes a commencé à Berrouaghia. L'arrimage du pouvoir de Chadli Bendjedid s'est effectué dans le silence. La thèse d'une rébellion dans les Aurès grâce au concours du MDA de l'ex-président de la RADP, Ahmed Ben Bella, et des enfants de chouhada, la chasse aux bouyalistes, les militants du MCB et les islamistes qui ont manifesté devant la faculté centrale, etc. ont donné du grain à moudre aux services de sécurité qui voulaient faire comprendre au nouveau président leur vigilance en matière de prévention des risques. Les prisons algériennes regorgeaient de militants de toutes les causes. A la prison de Berrouaghia, les berbéristes, les bouyalistes, les islamistes du futur FIS, les militants du futur RCD, les enfants de chouhada cohabitaient. C'est là que Me Ali Yahia a rencontré Abassi Madani et Ali Benhadj. Depuis, les choses ont beaucoup évolué. Ils se sont croisés puis chacun a pris son chemin. Ils croiseront le fer plus tard et feront partie des paramètres qui ont contribué à faire avorter le processus de démocratisation et qui continuent de verser de l'huile sur le feu. L'un des rares personnages qui n'a pas été tenté par la haine est Me Ali Yahia Abdenour. Plaçant l'éthique au-dessus de tout, il a pu échapper aux fortes pressions régionalistes ou idéologiques. Lorsqu'il appelle à la libération et de Ali Benhadj et de Abrika, les jusqu'aux-boutistes s'offusquent. Comment ose-t-il mettre sur un pied d'égalité Benhadj et Abrika, s'interrogent-ils? Il y a un goût amer de trahison. Mais il fait fi de leurs soupçons. Il poursuit son chemin. Ils ne comprendront donc jamais que les droits de l'Homme ne peuvent être sélectifs. La dignité de l'être humain doit être préservée quelle que soit son obédience. Il cite le cas de Klaus Barbie et de Me Vergès. En 1991, lorsque le collectif des avocats du FIS s'est constitué, les deux leaders du FIS l'ont appelé. Ils tenaient à ce qu'il figure parmi le groupe. Il ne cessera jamais de défendre leur dossier contre vents et marées, avec d'autres avocats émérites. En 1997, quand les négociations avec l'AIS ont abouti, Abassi Madani l'appelle. Il est question d'une déclaration que devait lire ce dernier à la télévision. Puis, au dernier moment, il sera empêché de le faire. Alors qu'il s'est préparé à lancer un appel à tous les hommes armés de déposer les armes, on lui a demandé de faire état de «reddition». Il a refusé et s'est retrouvé en résidence surveillée au lieu de jouir pleinement de sa liberté, comme convenu. Il constituait le gage pour faire céder l'AIS. Le cas de Ali Benhadj est plus délicat. Certains politiques hostiles au FIS ont parlé de second procès. Mais Me Ali Yahia est catégorique: il n'y a aucun dossier. Il est aussi question de procéder au jugement de Hachani dont le dossier n'a jamais été ouvert. Le procès aura lieu et disculpera le leader concerné qui sera libéré puis assassiné à Bab El-Oued. Quand Me Ali Yahia parle, c'est l'histoire qui tressaute. Il vous met face à vos propres contradictions en vous entraînant sur le terrain du droit et de l'éthique. Il vous désarme et vous assène le coup décisif sans vous achever. A 82 ans, il poursuit son petit bonhomme de chemin avec de fortes convictions et beaucoup de courage, sans l'ombre d'une hésitation.