«Nous sommes contre le dialogue individualisé et nous dénonçons la culture du silence.» Les lycées de l'Algérois étaient pratiquement tous fermés hier, ils le sont également aujourd'hui et le seront encore demain. La Coordination des lycées d'Alger en a décidé ainsi en déposant d'abord un préavis de grève auprès des pouvoirs publics et en décrétant ensuite le mot d'ordre de grève. Cette coordination n'est ni un syndicat ni une association, mais un collectif de travailleurs à la base qui, hors de tout carcan syndical et loin des lourdeurs des appareils, veut prendre son destin en main. Ils brandissent, au nom des enseignants, trois principales revendications: l'augmentation des salaires à 100% avec valorisation des points indiciaires, la retraite après vingt-cinq ans de service effectif et octroi de postes budgétaires permanents pour soulager les lycées désinvestis en ressources humaines. Certes beaucoup d'enseignants sont affiliés à des syndicats, que ce soit à la puissante Ugta ou aux autres organisations ouvrières autonomes. Néanmoins cette fois ils ont préféré se débarrasser de leur casquette syndicale pour n'agir qu'au sein de leur coordination. Par ailleurs certains enseignants avouent avoir été trahis par leurs syndicats et citent par exemple le non-renouvellement démocratique des bureaux syndicaux ou les promesses fallacieuses d'augmentation des salaires. Quoi qu'il en soit, le mouvement de grève décrété par la coordination des lycées d'Alger a été massivement suivi. Hier, vers 12h 30, le taux de suivi de la grève frôlait les 100 % : 94 % selon une estimation de la cellule de crise installée pour la circonstance au siège du Cnes (Conseil national des enseignants du supérieur) à la rue Charras. Cette réussite qu'enregistre la coordination traduit en somme un phénomène nouveau, celui d'instaurer de nouvelles passerelles, voire une nouvelle culture dans les relations de travail. Selon l'un de ses animateurs, la coordination d'Alger serait le fruit d'un travail de proximité qui remonte à plus de quinze ans. Elle vient comme une réponse au mépris affiché par les autorités face au désenchantement des enseignants. «Nous sommes contre le dialogue individualisé et nous dénonçons la culture du silence», nous dit-on à la cellule de crise improvisée par le collectif d'enseignants qui dit avoir le droit constitutionnel de faire grève. Désormais la coordination, qui projette de s'étendre aux autres wilayas, risque de devenir un véritable outil de pression entre les mains des enseignants et avec lequel il va falloir compter. L'action de protestation a touché en fait les plus prestigieux lycées d'Alger comme Hassiba-Ben-Bouali à Kouba ou l'Emir de Bab El-Oued le reste du peloton d'établissements a naturellement suivi et a même atteint la proche et lointaine banlieue d'Alger; que ce soit donc à Draria, Zéralda, Staouéli, Dergana, Rouiba, Aïn Taya, Bordj El-Bahri, Birkhadem...Le mot d'ordre de boycott des cours a été religieusement suivi. A quelques exceptions près où l'administration a dû recourir à des «intimidations» ou a fait appel à des stagiaires et autres vacataires, nous apprend-on. Plus de 100 lycées sont pour le moment encore concernés par cette grève du tablier. Pour rassurer les parents d'élèves, les enseignants se disent prêts à rattraper tout retard enregistré sur les programmes, spécialement ceux des classes d'examens. Néanmoins les «profs» s'inquiètent de l'attitude des parents qui ne s'intéressent à leurs enfants que dans de pareils moments de crise. «Les lycées et les écoles ne sont pas des crèches», disent-ils aux parents dont ils attirent l'attention sur les désastreuses conditions dans lesquelles leur progéniture étudie et dénoncent le phénomène de consommation de drogue qui prend de plus en plus d'ampleur parmi les élèves.