lorsque le silence fait loi, il serait difficile, voire périlleux de le briser... Difficile de rompre une tradition longtemps séculaire qui s'est imposée dans la vie d'une femme. Celle-ci malgré les violences qu'elle subit, les oppressions et les humiliations, ne peut dire son malheur; sa révolte qui bout en elle, bref sa souffrance incandescente qui brûle au plus profond d'elle-même. Elever la voix est un acte proscrit. Aussi qui mieux qu'une femme peut ressentir cette déchirure. Dans Cette fille-là, paru aux éditions l'Aube, l'écrivain Maïssa Bey, ose, en s'attaquant à ce sujet délicat, donner la parole à ces femmes brimées, marginalisées, qui «déstabilisent l'équilibre de la société». Ces femmes violentées dans leur coeur et leur corps et qui n'attendent plus rien de l'avenir, témoignage de femmes meurtries sous le joug de l'infamie. Transposer sur les planches ces bouleversants écrits est, de ce fait, loin d'être une sinécure. Une femme, une autre, l'a pourtant fait. Il s'agit du metteur en scène Jocelyne Carmichael de la compagnie Théâtr'Elles qui a su, avec perspicacité, adapter le roman de Maïssa Bey. Après Annaba cette création théâtrale a atterri, avant-hier, à la salle Ibn Zeydoun d'Alger (Oref). «Le but de notre théâtre est de développer l'expression des femmes. En parler d'une manière intéressante, monter aussi des textes de femmes qui ont eu notamment de l'importance dans l'histoire. La violence sur les femmes est un sujet universel qui ne touche pas uniquement les femmes algériennes», fait remarquer la réalisatrice. En effet, les trois personnages féminins qui évoluent sur scène portent en elles les meurtrissures et les douleurs de chacune d'entre nous de par le monde. Malika, Fatima et Yamina, interprétées par Sylvie Conan, Isabelle Penchlestrade, Virginie Quinon sont le triste miroir de ces femmes-là. C'est dans ce huis clos sordide comparé à un «asile» qu'elles tisseront le fil de leurs histoires. Contée puis notée, c'est Malika, la rebelle, qui, par la force des mots, va écrire son histoire et celle des autres femmes. «Toute petite, je me suis exercée à crier en silence. Il suffit de savoir que le cri est là», dit-elle en substance. Yeux baissés, apprendre à se retenir malgré les réprimandes, les insultes, Malika ironise sur son propre sort, «Malika signifie reine, celle qui possède ou peut-être celle que l'on possède». Malika a conscience d'être la fille d'amours interdites. «Fille de la légion», dit-on d'elle. Elle écrit «pour oublier les instants les plus sordides de sa vie », confie-t-elle. Elle représente l'espoir. Celui de témoigner des atrocités qu'on a fait subir aux femmes. Pour que plus cela ne se reproduise. Malika sait lire et écrire. Elle est libre de penser et réfléchir par elle-même. De tendre la main à ces autres femmes au destin brisé, étouffé, Yamina dont le tort a été de rêver à l'amour. Ali la laissera tomber. Qu'importe, elle aura vécu sa part belle de bonheur, en bravant tous les obstacles. Autre «cas social», celui de Fatima, fille d'une répudiée. «Une présumée». A celles-là s'ajouteront des personnages fictifs. Des silhouettes peintes que les comédiens déplaceront au rythme du spectacle. Ce dernier est mis en valeur par le jeu subtil de l'éclairage. Du clair-obscur qui soutient l'ampleur du drame. Aussi, l'expression scénique est accompagnée musicalement par la voix de Farida Moussaoui. Longtemps tus dans le ventre, les mots remontent à la surface, crachent leurs tripes à la face du monde, pour dire leur vérité, pas très bonne à dire. Et pourtant si. Une vérité qui fait mal à entendre, à écouter qui s'écoule claire et limpide, qu'elle dérange, touche et interpelle d'où la gêne des spectateurs...En collaboration avec le CCF, cette compagnie de théâtre est programmée aussi à Oran et Sidi Bel Abbes. Des femmes parlent. Ecoutons-les!