Malgré le premier attentat ou la première exécution, le village avait étonnement gardé son apparence paisible. Les militaires français sont restés à la périphérie et rien n´indiquait un notable changement. Même quand le vieux bachaga fut assassiné à une terrasse de café maure, le calme séculaire ne fut ébranlé. Certes, les coups de feu, qui mirent fin à la vie de ce nonagénaire, furent ressentis comme le début d´une nouvelle ère mais la majorité des gens avaient un doute profond sur la nature de l´incident. Certains, encore aujourd´hui, racontent que le vieux avait été victime d´un règlement de comptes car il traînait derrière lui une série d´affaires plus ou moins obscures, d´autres, par contre, affirmaient que ce n´était qu´une exécution décidée par les maquisards pour servir d´exemple. Mais la réaction de la population au sein de laquelle le bachaga jouissait d´un certain respect, avait réagi drôlement. Les témoins directs de l´assassinat s´en sont pris au meurtrier, un homme d´âge moyen vêtu d´un cache-poussière sombre et d´un chapeau de paille: il fuyait devant les villageois qui le poursuivaient et leur criait des menaces, brandissant son revolver. Mais il parvint à sortir du village. Les gendarmes arrivèrent avec leurs chiens. Ils essayèrent de trouver une piste. Rien. Ils dressèrent un PV et l´affaire fut enterrée en même temps que le vieux bachaga. Une cérémonie solennelle au pied du frêne centenaire réunit villageois et autorités coloniales. Un discours fut prononcé. Un hommage retentissant fut rendu au défunt et le village retomba dans sa torpeur séculaire...jusqu´au jour où les gendarmes arrêtèrent le gros épicier militant du PPA qui recevait ostensiblement le commissaire politique (un petit homme d´un village des montagnes) chargé d´organiser l´ossature de la résistance au sein du village. L´épicier fut atrocement torturé et il parla et mourut entre la gégène et la baignoire: les gendarmes sont allés trop loin mais ils avaient recueilli de précieux renseignements. Une quarantaine d´hommes furent arrêtés: ils avaient tous avoué avoir donné de l´argent sous la menace. Les victimes des extorsions de fonds furent relâchées et la peur s´installa au village en même temps que la SAS qui avait élu domicile au chef-lieu communal, à quelques kilomètres de là. La SAS fit venir des goumiers, recensa la population, mit des numéros sur tous les murs de maisons pour faciliter les interventions et commença à distribuer des aides symboliques aux plus démunis. Le maire de la commune mixte, un Français, céda la place et le pouvoir à la SAS. Un nouvel ordre s´installa. Des laissez-passer furent exigés désormais aux adultes qui désiraient voyager et les contrôles militaires firent leur apparition aux carrefours.