Rencontré au stand de l'Office des publications universitaires au Salon international du livre d'Alger, vendredi dernier, au moment où il dédicaçait quatre de ses livres, l'écrivain et critique littéraire Kaddour M'Hamsadji, nous a accordé cet entretien. L'Expression: Notre première question a un rapport avec le titre de votre nouveau livre. En intitulant ce dernier Le petit café de mon père, vouliez-vous suggérer à l'avance au lecteur qu'il s'agit d'une autobiographie? Kaddour M'Hamsadji: En fait, je tiens beaucoup à ce titre-là car je pense qu'il recèle une sensibilité très personnelle qui peut s'étendre à tout le territoire national. Je voulais concrétiser cette sensibilité et cet amour que j'avais et que j'ai toujours pour ces lieux extraordinaires qui me rappellent évidemment mon enfance. C'est autour de ce café-là que tout s'est construit pour moi et pour toute ma génération. Le café, ce n'est pas simplement le domino. Je m'intéresse plus aux personnages qui passaient dans ce café-là. Et qui sont-ils? Ce sont de grands personnages, de toutes les origines culturelles ou traditionnelles et historiques. C'est en écoutant ces personnages que notre esprit s'est formé et s'est ouvert à la vie et surtout s'est ouvert à une conscience nationaliste. A partir d'un certain âge, les écrivains en général, éprouvent ce besoin qui semble impérieux de replonger dans leur enfance. En tout cas, c'est ce que vous venez de faire en écrivant Le petit café de mon père. Pourquoi, d'après vous, cette nostalgie finit-elle par gagner les auteurs? Pour plaisanter un peu, on dit qu'à partir d'un certain âge, on retombe dans l'enfance. J'estime que la jeunesse d'aujourd'hui et celle de demain devraient connaître leur passé. Nous sommes en 2011 et je vois que les générations des tout jeunes disent: quels sont nos origines? D'où nous venons? C'est triste que les jeunes ne sachent pas leur histoire. L'histoire d'un pays commence pourtant avec l'enfance utile et indispensable du peuple. Ce dernier ne se forme qu'à partir de son histoire et la personnalité algérienne d'aujourd'hui s'est formée à la suite d'une enfance, d'un apprentissage et d'une conscientisation pour une liberté prochaine. Le colonialisme n'a rien donné aux Algériens. Tout ce qu'il a construit dans le domaine culturel, sanitaire aussi, il ne l'a fait que pour lui-même. Les Algériens ont beaucoup souffert. Dans ce livre, j'ai consigné tout ça, à partir de l'enfant et de l'adolescent que j'étais. On y retrouve le milieu familial, le respect de l'ancien, la camaraderie, l'éducation familiale, les rencontres dans l'école française, dans l'école indigène... Il faut savoir que dans une classe européenne de l'époque de quarante élèves, il y avait cinq à six élèves algériens. Je parle aussi de l'ambiance de la Seconde Guerre mondiale où les espoirs des Algériens étaient de recouvrer un jour, l'indépendance. Je me rappelle des passages de Messali Hadj à Sour El Ghozlane, de Ferhat Abbas, du scoutisme, de nos jeux personnels. A l'époque, on essayait de lutter contre les Français dans tous les domaines: dans le domaine physique, tout court, car il y avait à l'époque un club de boxe mais aussi à l'école aussi. On se mettait d'accord pour que l'Algérien qui était fort en calcul par exemple soit le premier dans cette matière et ainsi de suite. Bien que ce n'était pas notre histoire qu'ils nous enseignaient, on apprenait leur histoire pour mieux les connaître et pour mieux combattre l'esprit colonial. Nous n'étions pas contre les Français. C'était l'esprit colonial qu'il fallait combattre. Vous écrivez depuis des décennies et votre source d'inspiration ne semble pas près de tarir. Comment expliquez-vous votre soif d'écriture? Pour moi, l'écriture est un fait sacré. Si un jour, et Dieu m'en préserve, je n'écris pas, ça veut dire que je serais mort. Je pense que l'écrivain algérien d'aujourd'hui a une mission première, celle d'être un auteur pédagogue, un auteur éducateur. Je pense que nous pouvons apporter beaucoup à la formation de nos jeunes par des récits anciens et des récits nouveaux. C'est pour ça, tant que j'ai la possibilité d'aligner un paragraphe, je le fais. Une dernière question, si vous permettez. Les jeunes lisent de moins en moins dans notre pays et même à l'étranger. Un écrivain peut-il exister s'il n' y a pas de lectorat conséquent? De tout temps, le livre, c'est une bouteille à la mer. D'abord, il faut savoir lire, être alphabétisé en quelque sorte. On n'a pas inculqué à l'école le goût de la lecture à nos enfants. Aujourd'hui, il y a des professeurs de français qui ne lisent pas de livres. Sans commentaire.