Après 50 années d'indépendance, l'économie algérienne est dépendante de la rente pour plus de 98% de ses recettes en devises et importe 80% de ses besoins. «C'est l'histoire d'un émigré qui achète un beau lustre dont les lampes brillent de mille feux, aux galeries Lafayette. De retour au pays dans son village haut perché il l'installe au plafond de sa chambre, appuie sur le bouton qu'il a collé au mur, la lumière ne vient pas! Il ne comprend pourquoi cela ne marche pas! Il avait oublié que derrière le bouton, il y avait d'abord à trouver une source d'énergie, qu'il faut convertir en électricité, qu'il faut transformer, qu'il faut la transporter jusqu'au village, qu'il faut raccorder enfin, à la maison avant que la lampe ne s'allume...» Citation de Boubeker Belkaïd Cette boutade de Boubeker Belkaïd, ancien ministre de l'Enseignement supérieur, nous invite à mesurer le gap qui sépare un pays développé au bout de décennies d'efforts de sueurs et de nuits blanches pour mériter la lumière. Cet été aura été celui de toutes les colères, notamment celles induites justement par les coupures d'électricité, dues en grande partie à un été torride. La Sonelgaz a beau jouer au pompier, la panne est structurelle - c'est en fait la politique énergétique du pays si on peut appeler cela une politique énergétique - qui est en cause. Pour être honnête, depuis l'indépendance, la politique énergétique a changé plusieurs fois. La première période jusqu'aux accords de 1968 la politique énergétique était toute entière prise en otage par l'ancienne puissance coloniale. Il a fallu attendre 1971, un certain 24 février pour que le président Boumediene annonce à la face du monde que l'Algérie avait l'intention de prendre en main son destin pétrolier. Pour faire cours, la stratégie énergétique de l'Algérie de cette époque bénie était de valoriser chaque calorie exportée et aller vers le développement à marche forcée. Certes, bien des erreurs furent commises mais dans le développement industriel, beaucoup de choses ont été réalisées. L'essentiel du tissu industriel - notamment avec une capacité de raffinage de 22 millions de tonnes, des complexes pétrochimiques qui existent encore de nos jours, date de cette époque avec seulement 22 milliards de dollars engrangés entre 1965 et 1978. Par la suite, le destin pétrolier n'a jamais été entre les mains des différents gouvernants, nous avons lié notre sort à des roitelets ventripotents au sein d'une Opep qui ne décide que de ce que l'Arabie Saoudite ordonne, elle-même indexée sur les injonctions de la Maison-Blanche. Une conjoncture politique difficile des mauvais choix économiques, un prix du baril erratique a fait que l'Algérie s'est installée dans les temps morts après la mort de Boumediene Résultat des courses: avec un baril à moins de 10 dollars, l'Algérie dut s'endetter pour assurer la pitance d'un peuple de plus en plus exigeant d'autant qu'on lui avait promis «Une vie meilleure» avec un PAP où l'Algérien découvrait l'emmenthal, l'électroménager, les voitures, sans avoir fait d'effort pour le mériter si ce n'est qu'une zerda de partage d'une rente qui est gaspillée allègrement Nous eûmes droit à une révolte 1988 qui déboucha sur la décennie rouge où l'Algérie tentait de survivre au quotidien, nous sommes de plus tombés sous les griffes caudines du FMI qui nous a ajustés structurellement plusieurs fois avec à la clé le détricotage de tout le tissu industriel mis en place patiemment durant l'ère Boumediene et son ministre de l'Energie Belaïd Abdesselam. Nous eûmes droit là aussi à une loi sur les hydrocarbures controversée, il s'agissait disait-on d'un swap avec une hypothèque sur les gisements de Hassi Messaoud... Pour la dernière période à partir de 2000, une rente insolente et une politique ultralibérale nous a amenés à une nouvelle loi que nous avions combattue en son temps. Il s'agit en quelques mots de sortir du 49/51 et lier le destin de l'Algérie au bon vouloir de sociétés étrangères qui seraient majoritaires dans le domaine pétrolier. Rien n'interdisait par exemple, à une compagnie pétrolière multinationale majoritaire de fermer ses puits en Algérie dans le cadre de sa stratégie planétaire. Le destin de l'Algérie - puisque nous sommes mono-exportateurs de pétrole à 99% - serait alors décidé dans les délibérations de Conseils d'administration de multinationales! Cette loi fut abrogée quelques années plus tard et on en revient au 49/51. Les autres causes des perturbations électriques On dit que la demande est plus forte que l'offre. Soit. Les causes sont plus profondes. En fait, nous ne voyons que la partie visible de l'iceberg. Le mal est plus profond. La cinétique de croissance exponentielle à la fois de la population demandeuse mais aussi de la quantité d'énergie per capita, n'a pas permis à l'entreprise de répondre en quantité et en qualité à une offre énergétique de qualité. Pendant la saison estivale, la consommation électrique en Algérie augmente très fortement. Cette hausse est principalement due à l'utilisation des climatiseurs, le taux de climatisation est passé de 13,8% en 2008 à 32% en 2010. La plupart des appareils vendus sur le marché à bas prix sont inefficaces et consomment beaucoup. L'un des arguments-clés est le prix de l'énergie. En Algérie, l'électricité est vendue 4 à 5 fois moins cher que chez nos voisins. Le problème se pose à peu près dans les mêmes termes, en ce qui concerne le problème de la tarification de l'eau par rapport à son prix de revient. Le prix facturé aux consommateurs est en moyenne de 3,60 DA/m3. Le différentiel avec le prix de revient est payé par l'Etat soit entre 34 et 53 DA environ par m3 consommé. Les mauvaises habitudes Le consommateur algérien veut sans effort avoir sa part de la rente. Poussé à la faute, il est nihiliste, il ne fait plus confiance aux institutions qu'il pense être calibrées pour les plus nantis. Le consommateur mal informé, mal formé ne connaît pas les enjeux du futur, on lui a appris à vivre au quotidien avec une mentalité anti-Baylek, tout est bon pour tricher en l'absence de sanction. Un jeune est capable d'acheter des chaussures Nike à 5000 DA (1000 m3 d'eau! consommation de plusieurs années), mais dans le même temps il est sur la barricade pour n'importe quel motif. Il est capable d'enrichir les opérateurs téléphoniques pour bavarder dans le vide ad nauseam comme le lui recommandent les publicités. Même drame concernant les carburants, nous avons l'essence la moins chère d'Afrique. Le gaspillage est la règle. Nous finançons une partie du fonctionnement des parcs de véhicules de nos voisins des frontières Est et Ouest. Est-il normal que le gasoil soit bloqué à 12 DA alors que le sirghaz, dont nous disposons en grande quantité et qui aurait pu et qui peut se substituer à la consommation d'essence et de gasoil est vendu à un prix équivalent 9 DA qui n'incite pas le consommateur à changer d'habitude de consommation par manque de stratégie. Les quantités de carburants qui seront importées en 2012 atteindront 2 millions de tonnes pour le gasoil et 500.000 tonnes pour l'essence. Les importations de carburants ont explosé ces dernières années, enregistrant des hausses fulgurantes. Les importations du gasoil, sont passées de 1,3 million de tonnes en 2011 à 2 millions de tonnes en 2012. Pour une tonne de gasoil importée, Sonatrach exporte l'équivalent de 3 tonnes de pétrole de brut. En clair, cet argent perdu des 2 millions de tonnes de gasoil fera que cette perte sèche s'élève à près de 500 millions de dollars (40 milliards de dinars) soit encore l'équivalent de 15.000 logements ou encore mieux de quoi rééquiper scientifiquement de fond en comble la recherche scientifique du pays. Le manque de stratégie L'Etat est défaillant avec un ministère du Commerce qui ne sert, malheureusement à rien dans sa version actuelle. Si l'énergie était disponible en kit, ce ministère l'importerait. Pas de barrière pour les appareils énergivores (climatiseurs, fours, frigidaires...). Pas de barrière pour les véhicules qui sont des gouffres en essence supérieur, à 150 de CO2 /km. Les citoyens que nous sommes ont aussi une grande responsabilité car c'est nous qui consommons. C'est nous qui gaspillons. Comment faisaient nos parents «les vrais besogneux» quand il faisait chaud? Ils faisaient avec, ils travaillaient dans les conditions plus difficiles encore. Avec la satisfaction quotidienne du travail bien fait. Il faut prendre son parti! Nous avons notre responsabilité. Les coupures seront fréquentes, nous devons en tant que citoyens nous engager à plus de civisme, notamment en réduisant chacun à notre façon la consommation. Cette consommation débridée est encouragée par les nouveaux signaux aux citoyens concernant un nouvel eldorado, en l'occurrence les gaz de schiste. Ce message «Dormez braves gens, la rente veille sur vous» est excessivement dangereux car les nouvelles générations, n'ont pas été exposées aux privations à l'effort autant que les anciennes, notamment avec les soporifiques tels que les festivals, les matchs de l'Equipe nationale, voire le fonds de commerce du religieux au service du pouvoir où la sainteté se mesure à la longueur de la barbe, à une gandoura immaculée et au m'as-tu vu. Tout ceci amènera inéluctablement au chaos, à l'anomie et classera l'Algérie dans les zones grises. Bref, une somalisation qui fera que les puits de pétrole et de gaz restants seront gérés à distance par les nouveaux seigneurs; que restera-t-il de cette Algérie et de son utopie? Que restera t-il de cette indépendance pour laquelle tant de dignes fils et filles sont morts? Une nouvelle loi sur les hydrocarbures. Pour quoi faire? Avec beaucoup de peine nous découvrons qu'une nouvelle loi sur les hydrocarbures est en train d'être rédigée pour dit-on remplacer la dernière. Pourquoi? Est-ce pour avoir plus de dollars qui s'effritent dans les banques étrangères alors qu'il eut mieux valu que le pétrole reste au fond du sol et qu'on en extrait que ce dont l'Algérie a besoin? Force est de constater après 50 années d'indépendance politique que depuis l'indépendance politique à ce jour, en décembre 2011, l'économie algérienne est dépendante de la rente pour plus de 98% de ses recettes en devises et importe 80% de ses besoins Pourquoi continuer à pomper frénétiquement les hydrocarbures pour placer cet argent à l'étranger à des rendements faibles? En réalité, nous sommes rentrés dans le développement par effraction. Le développement est un processus long où il faut suer sang et eau. Les gouvernants successifs depuis la mort de Boumediene ont donné l'illusion à l'Algérien qu'il était socialement «arrivé» tant que le prix du baril était élevé. L'Algérien de 2012 revendique sa part de la rente, au besoin par l'émeute. C'est tout cela qui doit changer. Seul le parler-vrai, la justice, la nécessité de rendre compte chacun à son niveau pourra permettre aux Algériens de renouer avec la confiance et le devoir. De notre point de vue, un nouveau texte ne réglera rien. Ce sera la charrue avant les boeufs. Il nous faut tracer un cap vers le futur! Le moment est venu avant qu'il ne soit trop tard de mettre enfin un modèle énergétique réel. Le bouquet énergétique doit nous permettre de nous projeter dans le futur des 1000 kWh/hab/an actuel- très modeste - quel tissu en termes d'énergie électrique devront - nous placer à l'horizon 2030 avec une population de 45 millions d'habitants et une consommation de 2500 kWh/an (moyenne mondiale actuelle). Quelle est la part du renouvelable? Comment peut-on épargner les énergies fossiles? Comment aller vers l'efficacité énergétique? Cette stratégie qui est l'affaire de tous et pas seulement du ministère de l'Energie doit consacrer graduellement la vérité des prix de l'énergie de l'eau avec naturellement des mécanismes de compensation en fonction des classes sociales. Ce modèle devra être expliqué aux citoyens à travers notamment les médias lourds. Chaque département ministériel ayant la responsabilité de le mettre en oeuvre et d'être jugé sur les résultats. Ce sera notamment le cas de l'enseignement supérieur, qui aura à former les dizaines de milliers d'ingénieurs et de techniciens, d'économistes dont le pays a besoin. Seul un cap donnerait une responsabilité à chacun, institutions, citoyens, voire même écoliers qui ont une grande responsabilité dans l'utilisation rationnelle de l'énergie. Une fois la stratégie tracée adoptée, expliquée aux citoyens pour qu'ils l'appliquent, notamment en termes d'économie d'énergie, une loi sur les hydrocarbures et, plus largement, sur l'énergie, prendrait en charge les ambitions de l'Algérie pour les vingt prochaines années. Nul doute que nous tournerons définitivement le dos à la fatalité de la rente. Amen