Cette photo inédite montre l'une des dernières apparitions publiques du professeur Pierre Chaulet (au centre). Il est entouré (à gauche) d'Ahmed Fattani, directeur du quotidien L'Expression et de Noureddine Naït Mazi, ancien directeur d'El Moudjahid (à dr «Nous ne venons pas en aide au FLN, nous sommes Algériens comme vous, notre sol, notre patrie, c'est l'Algérie, nous la défendrons avec vous. Nous sommes du FLN.» Pierre et Claudine Chfaulet Ces par ces mots plus éloquents que mille discours que l'on peut avoir une idée d'un sacerdoce de 60 ans de combat commencé bien avant la Révolution. On a tout dit du professeur Pierre Chaulet, qui a voué toute sa vie à l'Algérie, en luttant pour son indépendance et son émancipation du joug du colonialisme et en contribuant à son édification. Pierre Chaulet est mort ce 05 octobre 2012. Médecin algérien, résistant durant la Guerre d'Algérie aux côtés du FLN. Il a effectué des opérations secrètes avec les combattants du FLN sous les ordres de Abane Ramdane. Il fut expulsé en France mais il arrive à rejoindre avec sa femme, Claudine, le FLN en Tunisie où il a continué ses activités de résistant en tant que médecin et d'écrire pour le journal du FLN, El Moudjahid. Il est l'un des membres fondateurs de l'agence de presse algérienne APS, à Tunis en 1961.Il fait la rencontre de Frantz Fanon à l'hôpital de Blida en 1955. Après l'Indépendance de l'Algérie, Chaulet a rejoint l'hôpital Mustapha-Pacha. Il a contribué à l'éradication de la tuberculose en Algérie. Claudine Chaulet est quant à elle devenue professeur de sociologie à l'Université d'Alger. Après l'Indépendance, Pierre Chaulet fut l'un des piliers de l'organisation de la santé. A ce titre, je me souviens en 1982, qu'en tant que directeur du Centre universitaire de Sétif, il m'a été possible d'ouvrir la filière des sciences médicales grâce notamment au professeur Chaulet qui s'est déplacé à Sétif pour enseigner gratuitement considérant qu'il ne faisait là que son devoir. Qu'il en soit encore remercié trente ans après! Les Algériens et les colons: un système d'apartheid Tout au long de cette histoire de cohabitation qui fut dans l'ensemble douloureuse, il y eut des hommes et des femmes européens, nés en Algérie, à des degrés divers, se sont battus pour la dignité et contre le système colonial, notamment en contribuant à l'Indépendance de l'Algérie. Sait-on par exemple, qui est Francis Jeanson, mort dans l'anonymat le plus strict aussi bien en France qu'en Algérie? L'Algérie d'aujourd'hui refuse toujours de voir son histoire en face. Sait-on que des Français se sont battus, se sont exposés et ont mis en jeu leur liberté et parfois leur vie pour l'indépendance du pays tout en étant fidèles à une certaine idée de la France. «Mais qu'est-ce que tu connais, toi, de la France, sinon Bugeaud et Bigeard? Tu t'adresses à moi comme si j'étais un traître à mon pays. A partir d'aujourd'hui, je voudrais que tu retiennes que mes camarades et moi n'avons fait que notre devoir, car nous sommes l'autre face de la France. Nous sommes l'honneur de la France.» C'est par cette phrase que le philosophe Francis Jeanson- s'adressant au Président Abdelaziz Bouteflika -Juin 2000- a défini son rôle lors de l'aide qu'il a apportée à la Révolution algérienne: pour lui, il n'a fait que son devoir et il n'en rougit pas, il se démarque des «autres» qui, au mieux, ont protesté mollement à propos de la torture, au pire l'ont approuvée comme l'a fait le cardinal Saliège: «La terreur doit changer de camp.» Justement, l'Eglise de Saliège n'est pas celle du cardinal Duval de tous ces Chrétiens profondément humanistes. A côté de la ligne officielle de l'Eglise, il nous faut citer, sans être exhaustif, tous les hommes de religion qui, dérogeant à la norme officielle, ont témoigné notamment contre la torture comme l'abbé Bérenguer sans oublier l'immense Frantz Fanon qui combattit avec les armes de l'esprit et dont les écrits -cinquante ans après- sont toujours d'actualité. André Mandouze normalien, spécialiste de saint Augustin, chrétien de gauche, résistant, est un autre «juste». En 1956, il s'engage totalement aux côtés de la Révolution algérienne. Il connut la prison pour «trahison envers la patrie» et fut une des bêtes noires de l'OAS. André Mandouze déclare: «En 1956, en novembre et décembre précisément, j'avais été emprisonné à la Santé pour mon combat en faveur de l'Algérie. (...) Permettez-moi de rapprocher le livre d'Henri Alleg (La Question, Ndlr) du combat de celui qui, dès janvier 1955 et jusqu'à la fin de la Guerre d'Algérie, ne cessa de protester et de condamner la torture - je veux parler du cardinal Duval(...)». Avec les humanistes chrétiens, citons aussi les autres justes. Comme le déclare Fernand Yveton militant communiste de l'indépendance peu avant d'être guillotiné «La vie d'un homme, la mienne, compte peu. Ce qui compte, c'est l'Algérie, son avenir. Et l'Algérie sera libre demain. Je suis persuadé que l'amitié entre Français et Algériens se ressoudera». La liste est longue de ceux qui ont bravé les interdits, traversé les barrières invisibles des communautés, l'exemple le plus frappant est celui du Docteur Daniel Timsit qui a participé activement à la guerre d'indépendance de l'Algérie du «mauvais côté». Pour Rédha Malek: «Le couple Chaulet est considéré comme un symbole de la guerre de Libération. (...) L'algérianité du couple Chaulet n'est pas le fruit du hasard mais d'un engagement total et réfléchi.» En tout cas, l'humanisme sans complaisance de ces justes et tant d'autres resteront pour nous tous une leçon de vie et ne disparaîtront pas. A ce titre aussi, ils méritent notre respect profond et notre recueillement à leur mémoire. Ces Justes ont fait, en leur âme et conscience, leur devoir. (1) Comme on le sait, la colonisation n'a pas détruit uniquement les fondements de la société algérienne, elle a, aussi contribué, par la création d'un apartheid, à creuser le fossé entre les Européens d'Algérie et les Algériens. Le déchaînement de violence, fin 1961 - début 1962, venait essentiellement de l'OAS, Pour André Bouhana. A cause de l'OAS, un fossé de haine a été creusé entre Arabes et Européens, qui n'aurait pas existé sinon.» (...) Quand l'OAS est venue, un grand nombre d'entre eux l'a plébiscitée. Pourtant, une grande majorité d'Algériens n'a pas manifesté d'esprit de vengeance, et leur étonnement était grand au moment du départ en masse des Européens (...) Mais, si la raison véritable de cet exode massif n'était pas le risque encouru pour leur vie et leurs biens, qu'y a-t-il eu d'autre? Chez Jean-Bernard Vialin, la réponse fuse: «La grande majorité des pieds-noirs a quitté l'Algérie non parce qu'elle était directement menacée, mais parce qu'elle ne supportait pas la perspective de vivre à égalité avec les Algériens! Peut-être que l'idée d'être commandés par des Arabes faisait peur à ces pieds-noirs. Nous vivions de facto avec un sentiment de supériorité. Nous nous sentions plus civilisés. Et puis, surtout, nous n'avions aucun rapport normal avec les musulmans. Ils étaient là, autour de nous, mais en tant que simple décor.» (2) Le sacerdoce des Chaulet: le choix de l'Algérie «Le choix de l'Algérie, deux voix, une mémoire» relate la vie et le parcours politique de Pierre et Claudine Chaulet, un «Français d'Algérie» et une «Française de France» qui ont rejoint le Front de libération nationale (FLN) dès le déclenchement de la Révolution, en Novembre 1954, et ont opté, à l'indépendance, en 1962, pour la nationalité algérienne. Dans le «livre premier», chacun des deux auteurs raconte sa «première vie» avant la rencontre de l'autre et de la Révolution. Cette partie fournit un saisissant aperçu d'un monde ancien qui a fait naufrage avec la colonisation, celui du peuplement européen de l'Algérie. Elle est, surtout, l'histoire d'une patiente décantation au sein de ce peuplement grâce à laquelle s'uniront les destins de Pierre et Claudine Chaulet, un certain 21 novembre 1954. Ensemble ils prendront le chemin de la solidarité avec les «indigènes» en lutte pour leur liberté et, après l'indépendance, apporteront leur pierre à l'édifice Algérie, ravagé par 8 ans de guerre et 132 ans d'occupation. Une même prise de conscience anti-raciste et deux «voies familiales» pour y parvenir». Un double «je» éclaire les circonstances politiques et humaines de tant d'événements cruciaux, pendant la Guerre de libération (évasion d'Abane Ramdane, tête pensante du FLN, etc.) et après l'Indépendance, en Algérie comme à l'étranger, où Pierre et Claudine Chaulet voyageront au hasard des missions dont ils seront chargés, pour le FLN puis pour l'Etat algérien. Ces mémoires sont aussi une chronique subjective de la période post-indépendance. (...)De leurs positions respectives, ils verront se succéder espoirs et désillusions au fil des époques. Dans l'impuissance, ils vivront les ravages de la décennie noire (1980), celle de la libéralisation, et les douleurs de la «décennie rouge» (1990), marquée par la montée de l'islamisme qui les a contraints à l'exil de 1994 à 1999. (...) Leur témoignage est un hommage à tant d'autres justes qui, comme eux, ont fait le périlleux «choix de l'Algérie».(3) Chaulet et Camus, deux visions de l'Algérie Au moment où un travail de sape tend à un retour en grâce d'Albert Camus en Algérie - à travers une caravane notamment avec l'indulgence d'intellectuels algériens- il est bon de replacer la position d'Albert Camus l'auteur de l'Etranger pour qui l'Arabe n'a pas de nom et est un élément allogène du débat cornélien de Meursault le héros de «l'Etranger». Il ne faut pas croire que l'engagement de Pierre Chaulet ne date que de la révolution. Catholique convaincu il milite dès son enfance dans divers mouvements qui luttent pour le rapprochement, la compréhension des deux communautés. Il a essayé de créer un mouvement qui regroupe des associations aussi diverses que l'Ugema, les Scouts Musulmans, la jeunesse du Mtld. (...) Cela se passe en 1950-51. Parler, se rencontrer, discuter tel était le but de ces jeunes gens de bonnes volontés qui se groupent au sein de l'Ajas (Association de le jeunesse algérienne pour l'action sociale). Ils envoient des gens dans les bidonvilles. Avec le professeur Mandouze ils fondent «Consciences maghrébines» Pour eux le problème c'est la colonisation»(4) Ce n'est pas du goût de Camus pour qui la colonisation a du bon lors de la rédaction d'un manifeste pour rapprocher les deux communautés, à l'instigation de Robert Malan et André Mandouze en février 1955, auquel il ne participa pas, il fait dire par son ami Charles Poncet que: «Ne pas parler des côtés positifs du colonialisme est une erreur.» On sait comment d'un côté Camus -qui tient à une trêve civile hypothétique- défendra en définitive «sa mère» avant la cause de la liberté et de l'autre Chaulet l'autre Français qui quitte sa communauté, son confort, et part crapahuter avec les Abane Ramdane, Krim Belkacem et tant d'autres héros de la Révolution. C'est dire si l'effort est important, la prise de conscience est précoce, et la part de la dimension religieuse ont joué un rôle déterminant dans le choix de la liberté pour l'Algérie sa patrie... Si on devait, objectivement, trouver quelque attrait à la présence française en Algérie, nous ne sommes pas ingrats, nous sommes reconnaissants à la France de compter en son sein des hommes de la trempe de ces géants de l'empathie, du juste combat, de la charité chrétienne. A titre individuel, ils ont transcendé les interdits pour venir prêcher inlassablement la paix, la tolérance, le respect de la dignité humaine. Assurément, ces hommes et ces femmes qui ont risqué leur vie, tournant le dos à une vie de confort et de compromission, ils et elles ont largement leur place parmi les «Justes». La présence française, malgré ses aspects sanguinaires et de déni de la dignité, a laissé, par le dévouement de ses instituteurs, de ses médecins et Européens et aussi Français de souche qui ont, à titre individuel, aimé l'Algérie et donné un sens à la charité chrétienne pour certains, à l'humanisme pour les autres. Au risque de nous répéter, ne soyons pas ingrats envers les «Justes», mais restons vigilants quant à la justesse de notre quête de justice pour tous les crimes et dénis de la condition humaine dont s'est rendu coupable le pouvoir colonial 1.Chems Eddine Chitour: http://www.mondialisation.ca/ce-que-fut-la-colonisation-les-justes-qui-ont-aid-l-alg-rie/ 2.http://www.lexpressiondz.com/chroniques/analyses_du_professeur_chitour/155317-une-independance-dans-la-douleur.html 3.http://www.maghrebemergent.info/economie/78-idees/16609-pierre-et-claudine-chaulet-le-l-choix-de-lalgerie-r-ou-lhistoire-dune-militance-exemplaire.html 4.Yves Courrières: Le temps des lépoards p. 209 Ed Fayard 2001Ed. Casbah 2005