La tension monte en Egypte où les partisans du président islamiste Mohamed Morsi destitué par l'armée renforçaient lundi leurs barricades sur deux places du Caire qu'ils occupent par milliers depuis un mois avec femmes et enfants et que la police menace de disperser à tout moment. La communauté internationale, qui a récemment tenté en vain de multiples médiations, redoute une nouvelle effusion de sang et le gouvernement mis en place par les militaires semble paralysé alors qu'il a promis un processus de réconciliation devant déboucher sur des élections début 2014. A l'expiration d'un ultimatum dimanche soir, la police a annoncé une opération imminente mais « graduelle », avec « encerclement et sommations », qui pourrait durer « deux ou trois jours ». Les autorités semblent vouloir persuader certains manifestants d'évacuer pacifiquement avant de lancer l'assaut contre les plus déterminés. Sur la place Rabaa al-Adawiya, le bastion des manifestants pro-Morsi transformé en camp retranché, des dizaines d'hommes casqués et munis de bâtons se sont massés juste après la prière de l'aube sur les barricades de briques et de sacs de sable qui barrent les entrées principales du véritable village de tentes installées autour de la mosquée. Sur une grande tribune sonorisée, leurs leaders se relaient inlassablement pour réclamer la restauration de M. Morsi et la fin du « coup d'Etat ». Certains défilaient au pas et présentaient leurs bâtons à l'épaule, aux ordres d'un chef, avant d'entamer une série d'exercices physiques. « La doctrine de l'islam nous enseigne qu'il n'y a rien de pire que de tourner le dos » à l'ennemi, lance l'un d'eux. « Le prix à payer sera élevé mais la victoire nous attend au bout du chemin », lâche un autre. Les Frères musulmans, l'influente confrérie islamiste de M. Morsi qui avait remporté les législatives un an après la chute de Hosni Moubarak, répète à l'envi que les sit-in des places Rabaa al-Adawiya et Nahda sont pacifiques. En plein milieu de la nuit à Rabaa, Farid Ismaïl, un des cadres des Frères musulmans, a même tenu une conférence de presse pour appeler à occuper « toutes les places du pays » lundi et « délivrer un message aux leaders du coup d'Etat »: « le peuple égyptien poursuivra sa révolution ». Puis les manifestants ont conspué le général Abdel Fatah al-Sissi, chef de l'armée et véritable homme fort du pays, celui qui a annoncé le 3 juillet la destitution et l'arrestation de M. Morsi après que des millions d'Egyptiens eurent manifesté pour exiger le départ du président islamiste. Ces appels et les menaces répétées des forces de l'ordre font redouter une escalade alors que plus de 250 personnes --essentiellement des manifestants pro-Morsi-- ont déjà péri en un mois dans des heurts avec la police ou l'armée, ou bien avec des opposants aux islamistes. Les Frères musulmans réclament la libération inconditionnelle de M. Morsi et des principaux dirigeants de la confrérie arrêtés depuis le 3 juillet -certains seront jugés le 25 août notamment pour incitation au meurtre-- et la restauration du président et de la Constitution suspendue par les militaires. Les opposants à M. Morsi lui reprochent d'avoir accaparé tous les pouvoirs au seul profit des Frères musulmans et d'avoir achevé de ruiner une économie déjà exsangue. Mais les Frères musulmans refusent tout dialogue avec les autorités « illégitimes », tandis que le pouvoir intérimaire, relayé par la presse quasi unanime, les accuse d'être des « terroristes », d'avoir stocké des armes automatiques sur les deux places et de se servir des innombrables femmes et enfants qui s'y trouvent comme « boucliers humains ». Ahmed al-Tayyeb, grand imam d'Al-Azhar, principale institution sunnite du pays, a appelé dimanche à la réconciliation nationale et assuré qu'il avait invité toutes les parties à venir négocier lundi un compromis. Cette initiative a été rejetée par les Frères musulmans, le grand imam al-Tayyeb ayant ouvertement pris fait et cause pour le général Sissi le 3 juillet. Pour l'organisation de défense des droits de l'Homme International Crisis Group (ICG), « en l'absence d'un accord politique, le résultat le plus probable est une impasse prolongée, des heurts à répétition ». Mais, « personne ne doit sous-estimer le risque que certains islamistes, convaincus qu'ils n'auront pas de place dans le processus démocratique, se tournent vers la violence ».