Ecrivains et poètes se sont relayés en cette soirée consacrée à honorer sa mémoire pour s'accorder à ressusciter l'âme de celui qui a incarné la conscience d'un peuple meurtri. Un hommage a été rendu jeudi soir au Centre culturel algérien (CCA) à Paris, au poète d'expression amazighe, Si Mohand Ou M'hand, qui déjà était une légende de son vivant, a continué même après sa mort, à inspirer à travers son verbe, écrivains et cinéastes fascinés par son génie hors du commun. Ecrivains et poètes se sont relayés en cette soirée consacrée à honorer sa mémoire pour s'accorder à ressusciter l'âme de celui qui a incarné la conscience d'un peuple meurtri par une conjoncture marquée par l'injustice et la cruauté de l'occupation coloniale. L'avocat et écrivain, de Rachid Kahar, auteur Si Mohand Ou M'hand: la vaine musique du vent», publié aux éditions Inas-Alger, une histoire romancée de cette icône de la poésie amazighe, a souligné que les textes de Si Mohand Ou M'hand reflétaient l'état d'âme de leur auteur, dénonçant les inégalités et la lâcheté et chantant l'amour de la terre natale, la bravoure, l'exil, l'amour et le destin. Toute l'oeuvre de ce poète de la confédération tribale des Aït Iranen, né entre 1840 et 1850, à Icheraiouen, l'actuelle Larbaa Nath Iranen (anciennement Fort-National), mort à 63 ans, est directement inspirée de sa propre vie et de la vision que lui reflétait une société écrasée par le poids des iniquités, dira cet écrivain. Sa réputation d'homme visionnaire était telle qu'elle finit par franchir les frontières de sa région natale et parfois même son pays alors en proie aux affres de la longue nuit coloniale, selon la biographie qu'il lui consacra. Son enfance est placée sous le signe de la violence et de l'exil, a-t-il dit. Né dans une famille aisée et lettrée, tout pourtant promettait un bel avenir à cet enfant instruit dans les zaouïas où il apprit aisément le Saint Coran, ce qui lui valut le titre de Si M'hand et qui finit pourtant sa vie dans l'exil, l'errance et le dénuement. Adolescent, Si Mohand Ou M'hand, fut alors le témoin direct des répressions et exécutions sommaires, les spoliations des terres et villages entiers par l'occupant. Il subit au même titre que les membres de sa famille les traumatismes provoqués par les tourments de l'occupation coloniale. Il assista alors aux bouleversements de la société qui se transformait et qui voyait ses valeurs sociales et ses hiérarchies anéanties. Le parolier et poète Mohamed Ben Mohamed, rappela ainsi que Si Mohand Ou M'hand était un «anticonformiste» et refusait de se plier aux traditions de son village, mais que les messages qu'il transmettait dans sa poésie étaient tels qu'il finit par faire figure d'autorité dans sa région. Le qualifiant de «fin observateur», des métamorphoses dont étaient victimes les populations de son village, «voyant les braves marginalisés et les arrivistes grimper dans cette société qu'il ne reconnaissait plus, où l'indigène subissait l'exploitation, Si Mohand Ou M'hand, chargé d'une douleur intérieure et de la déception de voir ce monde inhumain s'installer sans pudeur, sous ses yeux, se révolta et exprima sa fureur dans ses textes», a expliqué ce parolier et poète. Dès lors, un besoin viscéral de justice l'anima. Démuni et impuissant, il lui resta alors l'errance, courant les chemins là où son instinct le guidait, semant sa poésie qui a séduit le peuple par le poids de ses verbes. Ses poèmes foisonnant se sont alors transmis de bouche à oreille. Des années durant, ce poète parcourut la région de Kabylie avant de suivre le chemin de l'exil vers des contrées plus lointaines telles Bône (actuelle Annaba) s'éloignant jusqu'en Tunisie, déraciné et seul. Le poète aurait, par ailleurs, juré de ne jamais répéter deux fois le même poème, de sorte que seule la mémoire populaire a permis de conserver son oeuvre. Rachid Kahar a, dans ce contexte, proposé que les isfra (poèmes en amazigh) de Si Mohand Ou M'hand, dont il a déclamée certains en tamazight et en français, devant le public du CCA, soient inscrits au registre du patrimoine culturel immatériel de l'humanité. «Sa poésie, dont les thèmes sont encore d'actualité, mérite d'être entièrement transcrite et conservée car sa popularité est d'autant plus remarquable que l'oeuvre de Si Mohand ou M'hand n'a été véhiculée, jadis que par la parole ou le chant», a estimé Rachid Kahar, soulignant qu'avec le temps, ce poète tant adulé à son époque, a réussi l'exploit de se hisser au rang de symbole et de sagesse.