Les Italiens n'étaient pas de la fête. Il faut, paraît-il, quarante heures pour façonner la Palme d'or selon une technique mise au point par un joaillier très en vue à Paris, Place Vendôme, le carrefour de la pierre précieuse et autres dorures... Mais, combien faudra-t-il attendre encore de jours pour que le film «palmable» pointe le bout de son nez? Car, pour ne rien cacher, les temps sont durs, aucun réalisateur ne prend carrément la pole position, sauf, notre ami Nour Edine Saïl, patron du CCMarocain, qui, dans un autre registre a fait parler de lui, sur la Croisette, lundi dernier, à l'occasion d'un «colloque» sur les archives... Il y avait de quoi balancer son carton, devant le traitement infligé à cette rencontre qui a des relents d'un code de l'indigénat revisité: Deux collèges ! Deux tables ( une pour le Nord, civilisé et l'autre pour le Sud, assisté, les guillemets ne sont même plus à convoquer !). L'ancien critique de cinéma, devenu animateur en chef de la cinématographie de son pays, a résumé la chose en une phrase cinglante, devant tant de «goujateries»: «Nous ne sommes pas demandeurs!». Panne d'inspiration des organisateurs de cette rencontre qui aurait dû s'inspirer de la démarche même des Marocains, qui, deux jours auparavant, avaient donné l'ordre d'ouvrir les portes de leur fête à tout le monde. Fait rare, à signaler donc, tant les filtres sont multiples à Cannes pour ce genre de fiesta. Certes les Italiens n'étaient pas à la fête, mais cela pour une autre raison. Leur film Une fois que tu es né... a (presque) fait un flop! Giordano découvert avec une saga familiale (six heures), dans une section parallèle, il y a de cela trois ans, a raté le coche avec cette histoire d'enfant «tombé» du yacht familial et sauvé en pleine mer par des clandestins en dérive vers, justement, les côtes italiennes. Le choix d'un enfant, à la place d'un adulte, pour servir de fil conducteur annonçait déjà le laïus moralisateur qui a fini par avoir raison des plus acquis à la cause du droit d'asile, dans un monde rempli de plus en plus... d'étrangers, justement! L'Enfant des frères Dardenne, «palmés» en 2001 avec Rosetta, n'était pas loin d'emprunter le même Chemin de Canossa, que les Italiens, n'était le savoir-faire des cinéastes belges. Certes ils se sont accordés, pour 3, 6 M d'euros, six mois de préparation, 63 jours de tournage et pas moins de cinq mois de postproduction, pour un film qui ne déroge pas à leur règle, celle de filmer dans l'urgence. Et il y avait urgence pour la jeune héroïne du film, à peine majeure pour trouver un logis, le sien a été loué par son copain, petite frappe de la banlieue sinistrée de Liège. L'histoire est donc celle du garçon, deviendra-t-il ce père d'un enfant pas trop attendu? La réponse, la première, viendra au bout d'une heure, lorsque le jeune homme profitera d'un moment d'inattention de la mère, ira vendre l'enfant... Certes il le récupèrera aussitôt pour le ramener à l'hôpital où la jeune maman, en état de choc se trouve en soins intensifs... Le reste est anecdotique, ou presque, car pour arriver à leur idée, entêtante (?) de la rédemption les «Frères», comme on les appelle, tirent sur la corde au risque de l'effiler complètement! Alors, même si on aime Brel et les bonbons, au point d'aller les chercher dans le bec des moineaux d'Alger (par exemple), c'est bon pour le frisson, on se dit qu'on va pour un laps de temps ( 1h45) accepter les ... fleurs proposées par Jim Jarmush... Bill Murray, fait le livreur, revenu de fort belle manière Lost Translation (Sophia Coppola). Et Murray est ce célibataire à la peau tannée par la vie, l'informatique et... les filles, comme il finit par le confier à d'autres (qui ne sont pas nombreux, il est vrai)... Une lettre annonçant l'existence d'un fils, né il y a de cela 19 ans, tapée sur une machine à écrire...Et la machine à remonter les événements heureux (mais aussi les autres) se met en branle. On va alors vers la comédie placide, très jarmushienne, plus dans la suggestion que dans l'action. Il n'y a d'ailleurs pas non plus de rhétorique, donc rien à déployer pour pouvoir suivre, sans subir. Certes la musique en filigrane que lui file son voisin éthiopien pour l'accompagner, sur les routes, ne se subit pas. Mulatu Astatke est un des plus grands artistes africains, mais le reste est à l'avenant. «Le passé est révolu, l'avenir n'est pas encore là, d'ailleurs je n'ai aucune influence sur lui, alors tout ce qui compte est juste là.» Cette sentence philosophique arrive dans le dernier quart d'heure comme pour étayer un propos que l'on aurait voulu mettre en image, bien en amont. Jarmush complète, en entretien, cette pensée en confiant que pour lui : «La chose la plus élevée à laquelle je puisse aspirer c'est à n'importe quel moment, d'être présent, dans l'instant. Super facile à dire. Super difficile à faire.» Zen ou Soufi, la voie existe et le cinéaste aux cheveux blancs, depuis ses trente ans.