Le parquet a demandé de lourdes peines allant de 2 à 20 ans de prison ferme pour les prévenus dans l'affaire Tahkout dont le procès s'est poursuivi, hier, pour la troisième journée. Affirmant dès l'entame de son réquisitoire que «nous sommes face à un dossier d'une corruption légalisée» et qu'il ne s'agit nullement d'un procès «politique», le procureur général est revenu, durant une heure de plaidoirie, sur les faits commis par les 124 mis en cause dans ce dossier dont 58 personnes morales. «Se trompe totalement toute personne qui pense que ces hauts responsables et cadres de l'Etat se retrouvent aujourd'hui devant la justice pour des actes politiques. Ils ont commis des crimes punissables par la loi et ont porté préjudice au Trésor public, à l'économie nationale et à l'Algérie» a déclaré le procureur général assurant que le procès Tahkout est l'exemple parfait de la corruption dans toutes ses formes. Tentant de démontrer le fondement des accusations qu'il porte à l'encontre de chaque prévenu, le parquet cite, en premier, le cas de Abdessalem Bouchouareb, l'ex-ministre de l'Industrie, en fuite. Poursuivi pour plusieurs chefs d'inculpation dont la corruption, le conflit d'intérêts, le blanchiment, la dilapidation et la fausse déclaration, Abdessalem Bouchouareb «a créé une commission technique qu'il gérait lui-même afin d'avoir main basse sur le projet du montage automobile. Ses décisions prises dans l'illégalité totale ont coûté un préjudice de plus de 38,5 milliards DA au Trésor public», a assuré le représentant public avant de demander une peine de 20 ans de prison ferme à son encontre assortie d'une amende de 8 millions DA ainsi que la saisie de ses biens. Abus de fonction Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal, les deux ex-Premiers ministres qui sont poursuivis pour l'octroi indu de privilèges, la corruption, l'abus de fonction ou encore le blanchiment pour Ouyahia, ne sont pas «intègres, ni transparents dans leur gestion», a affirmé le procureur général qui a considéré que les hauts cadres de l'Etat étaient loin d'ignorer les lois de la République et que les décisions prises en violation de ces lois prouvent le fondement des charges retenues à leur encontre. Il demande un emprisonnement de 15 ans ferme pour les ex-Premiers ministres assorti d'une amende de 8 millions DA chacun ainsi que la saisie des biens, produits de la corruption. Pour Youcef Yousfi, Abdelkader Zalène et Amar Ghoul, les ex-ministres de l'Industrie et des Travaux publics, le procureur a requis 10 ans de prison ferme et une amende de 2 millions DA. Poursuivi, notamment pour abus de fonction et octroi de privilèges indus, Youcef Yousfi a établi une liste d'opérateurs pour le montage automobile «sans critères clairs avant de leur accorder, en transgressant les lois, une prorogation d'une année», affirme le ministère public, citant pour Abdelkader Zalène l'abus de fonction avec l'octroi de marchés dans le transport urbain au prévenu principal, Mahieddine Tahkout, dont celui de l'Etusa d'un montant supérieur à 600 milliards cts. L'abus de fonction est également démontré dans l'octroi par Amar Ghoul d'un foncier industriel au port de Skikda au patron de TMC. À Skikda, toujours, Mahieddine Tahkout a bénéficié de deux terrains qui appartenaient à une entreprise publique «grâce à l'intervention du wali de l'époque Hocine Fawzi», a affirmé le parquet qui a requis contre l'ex-wali une peine de 12 ans de prison ferme et une amende de 2 millions DA. Pour Mahieddine Tahkout, le patron de Hyundai et Suzuki Algérie, ses frères Hamid, Rachid, Nacer et son fils Bilel, le procureur général va revenir sur toutes les décisions illégales dont ces derniers ont bénéficiées. Il citera les nombreux avantages qui leur ont été octroyés comme les concessions de terrains agricoles et industriels ou encore les multiples marchés dans le transport urbain et universitaire. Il rappellera que Tahkout Manufacturing Company (TMC) avait commencé son activité alors qu'elle n'avait pas d'agrément définitif. Face à toutes ces irrégularités, le procureur demande contre Mahieddine Tahkout une peine de 16 ans de prison ferme assortis d'une amende de 8 millions DA et la saisie des biens, issus de faits avérés de corruption. Il a requis 12, 10, 8 et 3 ans de prison ferme à l'encontre, respectivement, de Rachid, Bilal, Hamid et Nacer Tahkout. Toutes ces peines requises sont assorties d'amendes d'un total de 22 millions DA et d'une saisie des biens produits de corruption. Des peines allant de 2 ans à 12 ans de prison ferme ont été demandées pour 27 au-tres prévenus assorties d'amendes variant de 500000 DA à 2 millions DA. Les plus lourdes réquisitions l'ont été pour les ex-DG de l'Etusa et de l'Office national des oeuvres sociales (Onou). À l'encontre de ces derniers, le parquet a d'ailleurs demandé 10 et 12 ans de prison ferme. Il a également requis le paiement de 32 millions DA à l'encontre des personnes morales et la saisie de tous les biens issus desdits délits. Un préjudice de plus de 30900 milliards cts Juste avant le réquisitoire, les parties civiles constituées du ministère de l'Industrie, du Trésor public, mais aussi de la société Suzuki de Mahieddine Tahkout, ont ouvert les plaidoiries. Si la défense du ministère de l'Industrie s'est suffi de demander un dinar symbolique comme dédommagement pour le préjudice moral, l'avocat du Trésor public, lui, a exigé plus de 30900 milliards cts qu'il considère comme étant le préjudice qui a été causé au Trésor public. Un million de DA de dédommagement a été également demandé de chaque prévenu dans ce dossier. Selon la requête de la défense du Trésor public, le préjudice causé dans le cadre du montage automobile s'élève à plus de 950 milliards cts, il est de plus de 14200 milliards cts en ce qui concerne les avantages fiscaux et douaniers et plus de 120 milliards cts pour les redevances. L'agent du Trésor public a évoqué également le préjudice de transferts en devises qu'il évalue à plus d'un million de dollars sur la base d'une estimation des quatre appartements acquis par Mahieddine Tahkout à Nice et Nîmes. Enfin, la société Suzuki se considère comme victime dans ce procès comme l'affirme l'avocat assurant que la firme a été lésée «n'ayant pas obtenu d'agrément, ni d'autorisation du Conseil d'investissements» que depuis quelques mois seulement. Sa défense demande une réparation de 500 millions cts. Le procès a continué, hier, jusqu'à une heure tardive avec les plaidoiries de la défense qui se poursuivront également aujourd'hui.