Le procès de l'islamologue Saïd Djabelkheir s'est ouvert, jeudi dernier, devant le tribunal de Sidi M'hamed à Alger. Ce procès, qui va rentrer dans les annales de la justice algérienne de par la particularité qu'il revêt, a suscité moult interprétations et réactions en même temps. Sept avocats et un universitaire ont déposé plainte contre le chercheur en islamologie pour «offense aux préceptes de l'islam et aux rites musulmans». C'est une première, Djabelkheir a été traduit en justice et jugé sur des énoncés dont la jurisprudence risque de se fourvoyer dans les dédales d'un monde où l'interprétation et l'exégèse sont légion et diverses d'un dogme à un autre en la matière. Sauf si nos lois vont verser dans des aberrations qui risquent d'exacerber l'imbroglio et les impertinences à ce propos. Déjà le processus en cours concernant l'affaire de Djabelkheir est en train de prendre une dimension judiciaire, ce qui est en soi un glissement gravissime dans la mesure où la pensée est interrogée et soumise à interpellation au niveau d'un tribunal. Il faut rappeler que «la loi punit de trois à cinq ans d'emprisonnement et/ou d'une amende quiconque offense le prophète ou dénigre le dogme ou les préceptes de l'islam, que ce soit par voie d'écrit, de dessin, de déclaration ou tout autre moyen». Il faut signaler que Djabelkheir a comparu sans avoir été interrogé par le juge d'instruction. Le procureur de la République a requis l'application de la loi. C'est un quiproquo qui offre aux ennemis de la liberté de pensée et de conviction l'occasion de verser dans l'excommunication et frapper d'anathème et d'hérésie ceux qui n'adhèrent pas à l'approche exégétique d'un dogme précis et d'un schisme différent d'un autre. L'islamologue Djabelkheir était très serein en rétorquant: «Je n'ai rien à me reprocher. J'ai tous les arguments pour me défendre», et d'ajouter «le but de mes publications est l'Ijtihad (l'effort de réflexion pour interpréter les textes fondateurs de l'islam) et non pas le jihad (la guerre sainte)», a-t-il déclaré à la juge qui l'interrogeait. Le procès attenté à l'islamologue Saïd Djabelkheir met la justice devant une réalité paradoxale, étant donné que ladite justice ne peut pas juger des questions religieuses délicates et très spécifiques, concernant les experts et les érudits de ce domaine. D'ailleurs, l'avocate Aouicha Bekhti qui assure la défense de Djabelkheir a posé cette question en soulignant que «nous sommes en train de débattre des idées dans un tribunal alors que les idées doivent être débattues en dehors du tribunal», s'est-elle exclamée. Ce procès est écorné par un caractère idéologique saillant et manifeste, la question de l'accusation qui s'arc-boute sur le fallacieux prétexte que Djabelkheir s'est moqué de la religion et des préceptes de l'islam en lui collant l'accusation de «offense aux préceptes de l'islam et aux rites musulmans». Ce jeu scabreux digne d'une démarche inquisitrice, favorise l'interprétation obscurantiste et fasciste de l'islamisme et ses sbires qui versent dans un négationnisme mortifère. D'ailleurs, cette approche a eu à s'exprimer à la sortie du tribunal par des cohortes d'incultes excités qui faisaient répandre des slogans renseignant sur le danger qui guette le pays et la pensée rationnelle dans ce pays. Les arguments avancés par les plaignants étaient caricaturaux, plus graves que ça, les concernés qui étaient à l'origine de la plainte n'ont aucune connaissance ou maîtrise des questions théologiques en rapport avec le dogme musulman et le récit relatif au patrimoine arabo-musulman.,La situation est grave, le procès attenté à Djabelkheir montre que la société vit au rythme d'une crise et des ambivalences qui renseignent sur les profonds déchirements qui affectent le pays en termes de projet de société. Le procès de Djabelkheir est un test pour l'Etat algérien, puisque la question relève de la liberté de la pensée. Le 21 avril sera une date qui tranchera avec les questions cruciales quant à un nouveau processus de changement où la liberté de l'expression et de la pensée devraient être le maître-mot de toute société qui aspire à la démocratie, le pluralisme et la liberté de la pensée.