Accusé de conduire la Tunisie sur un chemin centralisateur au plan politique et conservateur au plan moral, le président Kaïs Saïed poursuit opiniâtrement son plan de bataille contre les partis mais peine à rassembler autour de son projet les organisations nationales (UGTT, UTICA, UTAP, LTDH, UNFT...). C'est ainsi que l'UGTT qui avait évoqué, la semaine dernière, la menace d'une grève générale a confirmé, mardi soir, ce débrayage, indiquant qu'il aura lieu le 16 juin prochain et qu'il concernera l'ensemble des institutions relevant du secteur public. Dans son communiqué, l'UGTT souligne ses principales revendications qui concernent, entre autres, la suppression de la circulaire n°20 du 9 décembre 2021, l'application immédiate de tous les accords signés, l'ouverture de négociations sociales en vue de restaurer le pouvoir d'achat, la mise en oeuvre des réformes urgentes pour les structures étatiques sans le recours à la privatisation qu'elle soit partielle ou totale, l'abandon de la participation sociale obligatoire de 1% au budget de l'Etat ainsi que la finalisation des discussions autour de la loi régissant la fonction publique. Tout un programme, en somme, dont le moins qu'on puisse dire est qu'il illustre parfaitement l'ampleur et la gravité des enjeux dans une Tunisie qui traverse une crise multiforme et peine à rassembler toutes les énergies pour en sortir le plus rapidement possible. Et c'est dans un tel contexte dissolu qu'est né un Front de Salut national dont les animateurs affirment que le référendum convoqué par le président Kaïs Saïed le 25 juillet prochain constitue le début d'un processus de désintégration de la République, des institutions de l'Etat et de l'Etat de droit. «Ceci a causé la destruction d'une grande partie de l'Etat national et des sacrifices des générations précédentes et des acquis de l'expérience de la transition démocratique malgré ses défaillances», est-il affirmé dans la déclaration de constitution de cette nouvelle organisation rendue publique mardi soir. Autre signe de la morosité ambiante dans laquelle se retrouve le microcosme tunisien, qu'il relève des formations politiques ou de la société civile, l'ancien président de l'Assemblée des Représentants du Peuple (ARP, Parlement) et néanmoins du mouvement Ennahdha, Rached Ghannouchi, aurait été convoqué, à l'instar d'autres dirigeants, par le juge d'instruction près le tribunal de première instance de l'Ariana. L'information a eu l'effet d'un coup de tonnerre, mardi soir également, alors que le chef d'Ennahdha a déjà été interdit de voyage le 27 mai dernier dans le cadre de cette affaire de l' «appareil secret» du parti et de l'assassinat, en novembre 2013, de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, deux figures de la gauche tunisienne. Le président du mouvement Ennahdha fait officiellement face à une accusation pour atteinte à la sécurité de l'Etat. Cependant, la dimension politique de l'affaire et l'implication d'une personnalité aussi importante que le président du Parlement dissous, Rached Ghannouchi, dans la liste des 18 accusés montrent qu'après une longue stagnation des procédures, transformée peu à peu en blocage, le pays est en train de vivre des rebondissements spectaculaires annonciateurs d'une nouvelle République, par avance contestée.