Qu'une multinationale convoque les laitiers algériens pour les «organiser», cela n'a rien d'innocent. Une singulière sortie de la filiale algérienne de la célèbre multinationale du lait Danone, en fin de semaine dernière, interpelle la conscience de tous les citoyens de notre pays. Sous prétexte d'aider les producteurs algériens à résoudre nombre de problèmes, notamment les coûts de production, M.Paolo Maria Tafuri, directeur général de Danone Algérie, propose de partager les frais dans l'aliment du bétail et participer au financement des génisses de ces mêmes producteurs. Belle initiative sauf que Danone, comme tout opérateur économique qui se respecte, ne fait pas dans la philanthropie. Le groupe assortit son aide à une forme d'hypothèque sur le cheptel ainsi constitué durant trois années. Je vous aide à acheter vos génisses et vous ne livrez le lait à personne d'autre que moi pendant 3 ans, déclare à quelque chose près le super laitier. Business is business. Cette forme de proposition, les éleveurs algériens l'attendaient, assortie bien sûr autrement mais de leurs pouvoirs publics, elle leur vient d'un opérateur étranger par le biais de sa société de droit algérien. Au moment où il est question de stratégie industrielle, il est clair que de telles grandes manoeuvres devraient donner à réfléchir à nos décideurs. Le groupe Danone ne cherche ni plus ni moins qu'a contrôler la production de lait dans notre pays. Avec tout ce que cela suppose comme retombées sociopolitiques. S'il ne s'agissait pas d'un produit hautement stratégique comme le pain et l'eau, la vigilance n'aurait pas été justifiée. L'ouverture économique n'a pas empêché des Etats comme les USA et la Chine, pour ne citer que ces deux grands, à des mesures protectionnistes. Notre adhésion à la mondialisation ne doit pas nous faire perdre notre âme. Cela dit, la filière lait connaît sur le marché international en ce moment, de fortes tensions sur les prix. La seule manière d'échapper à l'effet domino aurait été de disposer d'une véritable production laitière algérienne qui nous aurait assurer l'autosuffisance. Ce n'est pas le cas. Nous avons des importateurs de poudre et des transformateurs de cette poudre, mais malheureusement, pas de producteurs. Pas d'élevage de vaches laitières de dimension nationale. Alors, quand ici et là sont évoqués des «producteurs de lait qui exigent l'augmentation du prix du litre de lait à cause des hausses sur le marché international», il faut être complètement taré pour gober l'amalgame. Ce sont les importateurs qui réclament la hausse, point barre. Le plus grand parmi eux, Candia, n'a pas attendu l'issue de quelconques tractations, le prix de son litre de lait a été augmenté de 5DA dès les premiers frémissements du cours mondial. Là au moins, l'attitude a le mérite de la rectitude. Les autres, des transformateurs de lait en yaourt et autres fromages, ne sont pas pour autant des producteurs de lait. A signaler au passage, qu'un 3e grand géant du lait est parmi nous, depuis peu. Il s'agit de Dano. Il est trop tôt pour connaître ses intentions, mais on peut dire d'ores et déjà, que la filière lait est partagée en Algérie entre ces 3 géants que sont Candia, Danone et Dano. Cela ne va pas sans nous rappeler les dangers d'une telle situation. Le lointain souvenir de l'affaire Busnach et Bacri est toujours dans les mémoires et plus près de nous, le bureau ACT de Benhaim, à l'époque du gouvernement Hamrouche où s'est tenu le procès du PDG de l'Onaco. L'agroalimentaire et ses créances. Qu'aujourd'hui Danone convoque les laitiers algériens pour les «organiser» n'a rien d'innocent et ne répond pas aux seuls motifs économiques. Quoi qu'il en soit, ceci n'aurait pas été possible si l'Etat avait été plus présent dans tout ce qui touche de près comme de loin à la sécurité alimentaire du pays. D'ailleurs, les assises sur la stratégie industrielle qui doivent bientôt se tenir, devraient inscrire ce sujet en bonne place. Beaucoup d'observateurs sont d'accord pour «que les multinationales viennent dans notre pays faire des profits, personne n'est contre, mais en aucun cas il ne faut les laisser faire de la politique». Encore moins de l'agit-prop.