La délocalisation des gendarmes, faut-il le rappeler, a été étudiée du temps de la présidence de Chadli Bendjedid. Le commandant en chef de la Gendarmerie nationale, le général-major Ahmed Bostila sort enfin de sa réserve observée depuis presque une année. «On s'interroge sur les intentions de certaines voix malveillantes qui ne cessent de déformer les faits, cultiver la confusion et l'amalgame et tromper l'opinion nationale alors que les pouvoirs publics ont pris des mesures dans le sens de l'apaisement et du rétablissement de l'ordre», lit-on dans le communiqué adressé, mardi soir, par le commandement de la GN aux médias. Mais la déclaration, tout en faisant l'impasse sur la véritable identité de ces «voix malveillantes», précise quand même les intentions de ces parties: «Entretenir les désordres publics et discréditer une institution républicaine.» Ainsi, la question de savoir qui sont ces cercles qui mettent à feu et à sang toute une région de l'Algérie est éludée, reportée peut-être. Information d'importance, la plus haute hiérarchie de la Gendarmerie déclare que lors de l'attroupement autour de la brigade de Tigzirt, lundi 1er avril, «des coups de feu provenant de la foule ont été entendus». Suite à ces détonations, selon ce communiqué, «les gendarmes se sont repliés à l'intérieur du cantonnement». Le texte explique que ce jour-là, «un attroupement de manifestants porteurs d'armes blanches s'est constitué autour de la brigade de Tigzirt». S'ensuivirent, selon le communiqué, des actes de saccage d'un magasin mitoyen avec l'unité et l'intervention des gendarmes. «Les manifestants se sont attaqués après à la brigade avec des jets de pierres et de cocktails Molotov, ce qui a nécessité l'intervention d'un escadron», ajoute le communiqué de la GN. L'usage d'armes à feu par des manifestants en Kabylie a été fréquemment évoqué par la Gendarmerie et repris par des confrères sans qu'aucune preuve matérielle ait étayé cette information. Toujours dans le volet balistique, la déclaration du commandement en chef de la Gendarmerie tient à préciser que «dans le cadre du maintien de l'ordre, les actes sont régis par des lois et règlements et les missions sont exécutées par des unités professionnelles avec des moyens conventionnels, sans armes ni munitions de guerre». C'est la première fois, depuis dix mois, que le commandement de la Gendarmerie contredit ouvertement les conclusions «provisoires» de la Commission Issad qui a enquêté sur les tragiques événements de Kabylie. «La violence enregistrée contre les civils est celle d'une guerre, avec usage de munitions de guerre», a annoncé l'une des conclusions du rapport Issad publié en juillet 2001. Le même rapport avait appuyé que «toutes les blessures que nous avons eu à connaître sur documents nécropsiques sont compatibles avec les effets qui sont observés normalement, lors des blessures occasionnées par des munitions de guerre». Si le redéploiement des brigades de Gendarmerie obéit, à la lecture des communiqués passés, à la reconfiguration de «la nouvelle carte sécuritaire qui prend en considération la protection des personnes et des biens», le communiqué du commandement de la GN évoque les mesures prises par les pouvoirs publics «dans le sens de l'apaisement et du rétablissement de l'ordre». Conclusion: la revendication, «légitime», selon Bouteflika lui même, des comités de village pour le départ des unités de la gendarmerie coïncide bizarrement avec les exigences de «la nouvelle carte sécuritaire définie». La délocalisation des gendarmes, faut-il le rappeler, a été étudiée au temps de la présidence de Chadli Bendjedid. L'idée était de recentrer la présence des brigades de gendarmerie hors des centres urbains et d'arriver à la confirmer comme corps de sécurité spécialisé dans les zones rurales. Ce qui est étrange, c'est que cette même option a été présentée, presque vingt ans plus tard, comme surréaliste et inacceptable alors que le pays comptait des morts et des destructions quotidiennement en Kabylie. Mais en fait, s'agit-il d'un redéploiement? Lors de la journée parlementaire de la police, le 29 octobre 2001, les pouvoirs publics avaient déclaré qu'il n'existe aucun plan spécial pour le redéploiement des forces de police en Kabylie et qu'une telle option n'est envisagée que dans le cadre des programmes élaborés depuis longtemps par les services compétents. Actuellement, même les sources officielles parlent d'«occupation par des éléments de la sûreté nationale» des enceintes de brigades abandonnées par les gendarmes. La mutation de l'action terroriste qui s'est articulée autour de véritables GIC (Groupes d'intérêts communs) avait déjà poussé les états-majors des différents services de sécurité à (re) revoir leurs démarches et tactiques. Veut-on faire inscrire les rumeurs évoquant une radicalisation armée des ârchs irréductibles dans la nouvelle carte sécuritaire? Quelle place pour les institutions de la République dans ce nouveau puzzle? Des élections, maintenues, reportées ou anticipées nous le diront!