En un combat douteux. Peut-être désespéré. Ce titre d'un célèbre roman américain sied parfaitement à certains commentaires, philippiques et autres polémiques politiques suscités par l'intervention de M. Chadli Bendjedid lors d'un récent colloque sur Amara Bouglez, fondateur de la Base de l'Est durant la guerre de libération. Il y eut d'abord les ratiocineurs qui se sont épuisés à chercher les mobiles d'une telle «sortie» et à s'interroger sur son minutage et sur le cadre d'expression. Il y eut ensuite tous ceux qui avaient intérêt à répondre à l'ancien président de la République. Inévitablement, à coups de polémiques largement relayées par des tribunes médiatiques généreuses et forcément bienveillantes. Sans oublier les autres, souvent les mêmes, qui avaient avantage à vouloir faire de l'ancien commandant de la deuxième région militaire, à son corps défendant, la figure de proue d'une lutte d'arrière-garde contre la révision de la Constitution. Cette armée de l'ombre, disparate et disloquée, qui semble toujours rêver d'un grand soir impossible, se plaisait à voir derrière les traits paternels et tranquilles de Chadli Bendjedid son ultime recours politique. L'alternative, lorsqu'il s'agira de faire obstacle à la réélection de l'actuel chef d'Etat. Les mêmes, toujours semblables, avaient déjà vu dans la mine amène d'un autre chef d'Etat, Liamine Zeroual pour le citer, le pénultième recours. Le père de la Constitution amendée, on le sait, n'est candidat à rien, et refuse d'être une quelconque alternative. A propos du timing, quelque chose, du style le petit doigt qui inspire, dit que l'intervention au colloque historique d'El Kala aurait quelque lien avec la parution prochaine des Mémoires du troisième chef d'Etat algérien. Démarche intelligente s'il en fut pour fixer l'attention de l'opinion avant la publication du témoignage d'un homme qui aura été un acteur et un témoin de premier ordre de la Révolution et de l'Algérie indépendante. Hormis cet éventuel souci de marketing d'annonce, l'ancien président Chadli Bendjedid, c'est connu, n'est pas homme à accepter de subir quelque magistère de la pensée ou autre influence de muses de l'ombre. D'ailleurs, dans un texte de recadrage publié par deux confrères, il le rappelle lui-même : «Je fus énormément surpris par la violence des attaques contenues dans certains articles sur ma personne et sur la période de gestion des affaires de l'Etat, donnant l'impression que des ficelles seraient tirées par des parties occultes qui n'ont pas intérêt à ce que Chadli Bendjedid parle.» Quant au fait d'avoir finalement rompu la loi du silence, cette règle d'airain que les politiques algériens s'imposent ou subissent depuis l'indépendance, ce n'est pas bien surprenant. En la circonstance, l'ex-président de la République ne déroge pas à la tradition. Il est même très rare qu'un pur produit du sérail se rebelle contre l'ordre établi, s'astreignant au respect d'une obligation de réserve dont aucune norme écrite ne la durée. De plus, M. Chadli Bendjedid est libre de parler quand il veut et selon les modalités qu'il se définit lui-même. Cette liberté est aussi celle de tous les autres acteurs. Les choses sont ainsi dans le système algérien. Ce qui fait, qu'ainsi observée, la loi du silence exprime souvent une solidarité de corps qui n'avoue pas son nom. S'agissant de la question de savoir pourquoi il aurait, à ce jour, fait l'impasse sur sa propre gestion des affaires du pays et, surtout, à propos de sa responsabilité propre dans les événements que l'Algérie a vécus jusqu'à l'interruption du processus électoral en 1992, il faut se garder de lui faire un mauvais procès d'intention. Attendons alors la publication de ses Mémoires pour s'en faire éventuellement une première idée. Et, dans l'attente, se féliciter peut-être qu'un muet du sérail ait, enfin, décidé de contribuer à l'écriture de l'histoire du pays, dût-il n'y apporter que ses propres vérités. Si partielles soient-elles, elles seraient quand même les bienvenues. Reste enfin la volonté de Chadli Bendjedid de refuser que des âmes si bienveillantes fassent son bonheur à son insu. C'est-à-dire, en faire l'instrument involontaire d'un dessein politique dont il a vite deviné les contours. Dans le même texte de clarification, publié par deux quotidiens à fort tirage, il met au jour l'intention de «certains [qui] voudraient faire croire que Chadli Bendjedid voudrait brouiller les cartes, ou qu'il voudrait influer sur les convulsions politiques actuelles, ou qu'il se proposerait comme une alternative à ce que certains appellent ‘‘la crise''». En langage moins codé, moins pudique et moins diplomatique, il refuse d'être un recours politique pour quiconque. D'être un lièvre qui, dopé aux amphétamines politiques, était censé courir comme un lévrier afghan, favori d'une course gagnée d'avance. En somme, d'être le Benflis de 2009. N. K.