Six-sept pays africains s'apprêtent à célébrer dans le courant de l'année leur demi-siècle d'indépendance, propice pour faire un bilan d'étape. Dix-sept pays africains, dont 14 ex-colonies françaises, fêtent cette année le 50e anniversaire de leur indépendance: c'est l'heure des bilans, plutôt sombres, des invectives et des autocritiques, mais aussi le moment de se sentir, intimement, malgache, ivoirien ou sénégalais...Né à la veille des indépendances, le journaliste Venance Konan juge depuis Abidjan que «célébrer avec faste» le cinquantenaire de l'indépendance de la Côte d'Ivoire, «c'est se foutre du monde!», puisque les Ivoiriens vivent «dans un pays contrôlé au nord par une rébellion» et que «la pauvreté est partout». «Que les Africains prennent le temps de faire le bilan, de reconnaître là où ils ont failli», lance-t-il. Et d'évoquer, en généralisant, des «peuples libérés du joug colonial pour tomber sous d'autres jougs: les partis uniques, les pouvoirs militaires, les pouvoirs dictatoriaux...». Plus nuancé, l'historien congolais (RDC) Elikya Mbokolo, estime qu'«il y a eu des avancées très fortes dans les années soixante, un fort ralentissement les 25 années qui ont suivi, et aujourd'hui un nouveau démarrage vers l'avant». Pour lui, «les Etats qui émergent» sont à présent plus nom-breux que «ceux qui posent problème». Bien sûr, certains évoquent avec nostalgie des aspects de l'époque coloniale, telle l'Ivoirienne Germaine Kouassi, 67 ans, fonctionnaire à la retraite, qui se souvient qu'avant 1960, «l'école était vraiment gratuite: on nous donnait le porte-plume, la plume, toutes les fournitures...». Mais pas question, sur le continent, d'ouvrir un quelconque débat sur «l'aspect positif» de la colonisation, qui «reposait sur un racisme ouvert» et «une exploitation économique forcenée», selon M.Mbokolo (RDC). A Libreville, Guy Rossatanga-Rignault, professeur de droit à l'Université Omar Bongo, renchérit: La colonisation a été un viol. Ouvrir un tel débat est malsain parce que cela revient à dire: «D'accord, on l'a violée, mais il en a résulté une grossesse et ensuite un beau bébé». «L'Afrique n'a pas demandé à être "civilisée" et nul ne peut préjuger de ce qu'elle serait devenue sans la colonisation», selon lui. D'autres disent encore attendre le «procès symbolique» d'une France qui a beaucoup manoeuvré en Afrique, après 1960, pour conserver ses intérêts «bleu-blanc-rouge». Le Camerounais Paulin Tchuenbou, coordonnateur d'une ONG de défense des droits de l'homme, juge ainsi que Paris a toujours soutenu «un Etat incarné par des hommes plus préoccupés par la préservation de leurs privilèges et les intérêts de la France que par le bien-être des Camerounais». De l'avis général, «le processus de libération» enclenché en 1960 reste inachevé et les Etats africains doivent encore conquérir toutes leurs «souverainetés», économique, alimentaire, énergétique...Mais les commémorations de l'indépendance donnent aussi l'occasion de se sentir exister d'une façon particulière. «On a notre propre identité, on le sent carrément, on est Sénégalais!», lance Ibrahima, Dakarois de 24 ans. «Il y a une fierté d'être Malgache. Même si certains veulent attiser le tribalisme (entre originaires des côtes et des Hauts-Plateaux), on a acquis de manière générale la conscience d'être une Nation», assure l'historienne Lucile Rabearimanana, à Antananarivo. «La culture s'est développée, il y a eu l'épanouissement d'une identité malgache», dit-elle. Alors, le professeur gabonais Rossatanga-Rignault invite les Etats africains indépendants à «un bilan d'étape (...) pour se projeter positivement dans le monde de brutes qui est le nôtre, en s'y créant une place». «Cela suppose, conclut-il, de briser un certain nombre de chaînes mentales pour exister en soi comme partie du monde et non comme perpétuelle périphérie».