La relation fusionnelle avec la mère et la quête du père constituent la trame du Premier homme, la pièce de Jean-Paul Schintu adaptée du roman éponyme d'Albert Camus... Comme dans le roman autobiographique de Camus, la pièce de Jean-Paul Schintu, présentée avant-hier au Centre culturel français d'Alger, s'ouvre sur la naissance d'Albert (Jacques Comery dans le roman), en 1913 à Mondovi (un village situé à 25 kilomètres au sud de Annaba). Et toujours comme dans le roman, l'ordre chronologique n'est pas constamment respecté dans la pièce. Le tableau suivant est consacré à la visite d'Albert au cimetière de Saint-Brieuc pour se recueillir sur la tombe de son père. Un père qu'il n'a jamais connu auparavant. Un père mort lors de la Première Guerre mondiale, quand il avait à peine un an. Albert avait alors 40 ans. Là-bas, il se rend compte soudainement que son père avait 29 ans quand il est tombé dans la bataille de la Marne. Son père était plus jeune que lui. Il y avait cet étrange sentiment de compassion qui s'est emparé, brusquement, du personnage. C'est incontestablement l'une des scènes les plus émouvantes de la pièce et qui fut, remarquablement interprétée par Schintu lui-même (d'ailleurs seul comédien dans la pièce). Il y a aussi cette «algérianité» du personnage principal qui ressort dans certains tableaux évoquant l'enfance d'Albert Camus à Alger: ses histoires et ses aventures avec ses amis sur la route Moutonnière et à la plage des Sablettes. Ayant grandi dans l'absence de l'autre, (son père), Albert avait une relation quasi-fusionnelle avec sa mère, Catherine. Au fil des tableaux, Schintu nous donnera justement à découvrir des scènes aussi bouleversantes que désarmantes relatées par Albert Camus dans Le Premier homme. C'est d'ailleurs à sa mère que ce livre fut dédié. «A toi qui ne pourra jamais lire ce livre», écrivit cet humaniste écorché vif. C'est le jeu de lumière soutenu par la musique qui nous révélera les différents états d'âme du personnage. C'est aussi ce jeu de lumière qui a concouru à traduire l'atmosphère si particulière de la pièce et à déclencher les émotions...Ce travail effectué sur la lumière et sur la musique était le moins qu'on puisse dire fabuleux et remarquable et très abouti sur scène. Adapter Le Premier homme était, sans nul doute, un pari extrêmement risqué. En effet, il ne s'agissait pas de monter, tout simplement, Le Malentendu, Les Justes ou encore Caligula, (les pièces de théâtre de Camus), mais de travailler sur un texte que Camus n'a jamais pu achever. Un manuscrit retrouvé dans sa sacoche lors de l'accident tragique du 4 janvier 1960 et que l'on n'a édité qu'en 1994. Mais, la maîtrise du texte était déconcertante...le résultat était impressionnant.