La présence du président rwandais, Paul Kagame en Espagne, où des militaires de son régime sont poursuivis pour «génocide», a provoqué un tel tollé que José Luis Rodriguez Zapatero a renoncé in extremis à s'afficher hier avec lui à une réunion de l'ONU sur la pauvreté. Le chef du gouvernement espagnol a été «sensible» à la demande de sept partis politiques l'exhortant à «ne pas rencontrer» le président du Rwanda, a sobrement expliqué, hier, sa vice-présidente, Maria Teresa de la Vega. Sous forte pression, M.Zapatero avait fait savoir, jeudi soir, qu'il ne participerait finalement pas à la réunion du groupe de contact créé en juin par le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, sur les Objectifs du Millénaire de réduction de l'extrême pauvreté dans le monde d'ici à 2015. Un porte-parole avait expliqué qu'il se ferait représenter par son ministre des Affaires étrangères, Miguel Angel Moratinos, et que la réunion, initialement prévue au siège du gouvernement, était déplacée à l'hôtel Ritz. Les autorités rwandaises n'avaient pas réagi hier en début d'après-midi à ce camouflet. Pas plus que Ban Ki-moon, présent à Madrid. Dès jeudi, la Coordination des ONG espagnoles pour le développement (Congde) avait dénoncé «le choix controversé de Ban Ki-moon» d'élire M.Kagame pour co-diriger ce groupe, et «la passivité du président Zapatero qui a accepté sans objection d'agir au côté d'un génocidaire présumé». Le malaise, relayé par Amnesty International, s'est étendu comme une traînée de poudre à l'ensemble de la classe politique espagnole. Le propre porte-parole parlementaire du Parti socialiste au pouvoir et ex-ministre de la Défense de M.Zapatero, José Antonio Alonso, s'est déclaré «incommodé» par la présence en Espagne de M.Kagame. «Il semble qu'il a un passé plus que trouble au Rwanda», a-t-il estimé. Cette levée de boucliers trouve son origine dans les mandats d'arrêt pour «génocide» lancés par un juge espagnol en février 2008 contre 40 militaires du régime de M.Kagame, accusés d'avoir fomenté des affrontements ethniques dans les années 90 pour s'emparer du pouvoir et imposer un «régime de terreur». Ces militaires sont accusés d'avoir sciemment déstabilisé le régime extrémiste hutu de Juvénal Habyarimana en place à l'époque, en commettant des actes terroristes avant de s'emparer du pouvoir. Le juge Fernando Andreu avait lancé des accusations détaillées contre le président Kagame, sans le poursuivre en raison de son immunité de chef d'Etat. L'assassinat de M.Habyarimana en avril 1994 avait déclenché le génocide qui a fait environ 800.000 morts, selon l'ONU, surtout parmi la minorité tutsie. La procédure espagnole répond au principe de «justice universelle». Le juge enquête notamment sur les assassinats présumés par les milices tutsis du Front patriotique rwandais (FPR), dirigées alors par M.Kagame, de neuf missionnaires et coopérants espagnols, témoins de massacres. Le président Kagame avait à l'époque dénoncé «l'arrogance» des mandats d'arrêt espagnols. «La guerre que nous avons déclenchée, c'était pour libérer notre pays», avait-il déclaré. L'avocat des familles des Espagnols tués au Rwanda a qualifié hier de simple «maquillage» la volte-face de M.Zapatero.