On ne saura pas si le colonialisme est un crime ou non. Cent vingt-cinq députés ont “menacé” – on ne sait plus qui – des mois durant de déposer une loi criminalisant le colonialisme. Et de la faire voter, puisque l'initiative vient de la majorité. Mais avant-hier, le président de l'Assemblée nationale nous apprenait que le passage à l'acte “dépendra de la circonstance et de la conjoncture” dans lesquelles “nous serons à ce moment-là”. Si moment il y aura, puisque le projet de loi est désormais aux mains du gouvernement qui, selon Ziari, “dispose de deux mois pour répondre positivement ou négativement”, ajoutant que “sa marge d'appréciation (du gouvernement) est importante”. Cela, on le savait, l'Assemblée n'ayant jamais appliqué sa prérogative virtuelle d'initiative de loi. Dans ce cas, la “représentation nationale” vient même d'innover en matière de procédure de production législative : un projet de loi réputé d'initiative parlementaire est transmis à l'Exécutif “pour avis”, mais “avec une marge d'appréciation importante”. Il fallait que Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères, et Luc Chatel, porte-parole du gouvernement français, fussent au courant de l'itinéraire dans lequel le projet allait s'enliser ou connaisseurs de l'état de l'équilibre des pouvoirs dans notre système. Pour se rassurer, le premier s'est suffi de “constater” que l'Exécutif algérien n'avait “aucunement pris position” sur ce texte et le second s'est limité à “noter” simplement que cette proposition est “d'initiative parlementaire” et “n'a pas été reprise par le pouvoir exécutif algérien”. Rappelons-nous la précision faite par Bouteflika, à la fin novembre 2009, alors que le ministre des Moudjahidine avait pris des libertés de ton dans un propos à l'adresse de Sarkozy. “La politique extérieure relève du domaine réservé du président de la République et de ses plénipotentiaires dont le ministre des Affaires étrangères”, avait-il rappelé. Quand on voit que les gesticulations législatives n'arrivent pas à entamer la sérénité des Kouchner et Chatel au fait de notre réalité politique, on est contraint de penser que c'est donc à nous qu'elles s'adressent. Nos élus à 35% attendent de nous qu'on admette enfin quelque pouvoir d'initiative autonome de notre instance législative, qu'on se mobilise comme un seul homme derrière eux au service d'une cause nationale qui attendait le courage d'un groupe parlementaire qui puisse l'entreprendre et que l'on se pâme, enfin, d'ébahissement devant leur intransigeance théâtrale sur la nécessité de juger les crimes coloniaux ! Les aurions-nous crus que le président de l'APN viendrait se déjuger de lui-même : “Nous attendons maintenant l'avis du gouvernement. Mais cette proposition n'est pas inscrite à l'ordre du jour de la session de printemps.” La France est donc tranquille jusqu'à l'automne et le projet de loi itinérant continuera à faire débat… ici. Entre-temps, il faudrait se rendre compte qu'on aura élu une Assemblée législative pour entendre des absurdités de ce type : la criminalisation du colonialisme – qui peut se concevoir pour un crime passé justement parce qu'il serait, en toute circonstance, imprescriptible – dépendra de la conjoncture ! M. H [email protected]