Il avait 17 ans et une tête d'enfant sage. C'était le plus silencieux de l'équipe nationale junior du début des années 1990. Avec lui, j'ai appris que “les vrais durs ne dansent pas”, comme l'écrivait Norman Mailer. Contrairement aux footballeurs qui dansent tout le temps autour du ballon, de l'argent, de leur entraîneur ou juste pour le spectacle, les pugilistes, les vrais, comme Soltani, sont d'une sobriété d'ascète. Et Mohamed Ali alors et ses déclarations intempestives ? Du marketing pour ferrer le poisson. Juste du marketing. La première fois que j'ai vu à l'œuvre Soltani, c'était au tournoi junior de Venise-Ah ! Venise de Casanova et Byron ! Durant toute la compétition, il ne dit mot. Il ne fut prolifique que de coups sur le ring. De ko en ko, il remporta le tournoi à la grande surprise de son entraîneur lui-même. Quelques moins plus tard, il offrit à l'Algérie sa première médaille en championnat du monde à Sydney. Toujours Avec panache. Il remporta aussi, haut le poing, la première médaille d'or aux jeux Olympiques d'Atlanta en 1996. Très difficile à boxer, ce fausse garde avait une gauche à assommer un taureau. Même quand il terrassait ses adversaires, il ne jubilait pas. Aucun cri de triomphe ne sortait de sa bouche. Juste un mince sourire sur ses lèvres. Il était muet non par tactique mais par nature. Tout ce qui n'est pas action est superflu pour lui. Si Gracian Baltasar conseillait, pour ne point se découvrir, qu'il fallait appliquer la vieille règle du sage de Mytilène : ne donner qu'une partie de soi-même en gardant l'autre en réserve. C'est-à-dire que la moitié vaut mieux que le tout, Soltani, lui, m'enseignait avec son exemple, que la meilleure façon de parler est de se taire. Ne s'exprimer qu'avec ses armes. En l'occurrence, pour lui, ses poings. Et parce qu'il se taisait, il gagnait en mystère et en profondeur. Je l'ai vu, dans un restaurant à l'étranger, affronter des pieds-noirs nostalgiques qui voulaient sans doute casser de l'Arabe. Il lui a suffit de lever sa tête de son assiette et de fixer droit dans les yeux les impertinents. Aucun d'eux n'a pu soutenir ce regard qui a fait perdre leurs moyens aux plus aguerris des boxeurs. Ils ont quitté les lieux, têtes basses, et la mine penaude. Il y avait quoi dans ce regard qui les a fait fuir ? L'instinct de mort que tout grand boxeur possède. Mais moi, je ne voyais que le soleil d'un jeune homme que j'ai pris en affection. Même quand nos chemins se sont séparés, il ne manquait jamais de m'appeler. Juste pour me dire qu'il allait bien. Il ne disait qu'un mot : “ça va ?” À moi de faire la conversation. Par la suite, à ma grande surprise, il devint un peu plus bavard sans être prolixe. Entre-temps, il avait mis les pieds dans les marécages du boxing business aux USA et en France. Il pensait faire fortune avec ses poings. Hocine ignorait que dans ce monde glauque, ce n'est pas la force des poings qui prime, ce n'est pas la classe et le talent qui l'emportent, ce sont d'autres critères : apprendre à se coucher devant un adversaire fut-il inférieur est l'un des plus déterminants. Lui n'a jamais appris cela en Algérie. Il est resté un idéaliste de la boxe, ce sport qu'on appelle joliment noble art. Et puis, un jour, il disparut, et puis on le chercha longtemps, et puis on retrouva son corps pour le rapatrier à Boudouaou, sa ville natale. Il a quitté l'Algérie les poings en avant, il revint les pieds devant. Par son talent et sa candeur, il ressemblait à d'autres héros de la boxe algérienne : Bob Omar et Mustapha Mustaphaoui. Il les a rejoints au cimetière des martyrs. De lui je garde l'image d'un adolescent souriant et mutique qui me disait : “ça va ?” Oui, ça va un peu moins pour la boxe depuis que tu es parti… H. G. [email protected]