Dans cet entretien, le P-DG d'Air Algérie, Wahid Bouabdallah, revient sur les recommandations de l'UE et affirme que la situation est bien prise en charge même s'il déplore un certain laxisme dans l'application des procédures au quotidien. Liberté : Air Algérie risque d'être interdite de vol dans l'espace européen, selon l'UE. Qu'est-il réellement reproché à la compagnie et comment est-on arrivé à cette situation ? Wahid Bouabdallah : L'UE n'a jamais proféré une telle menace. Pour plus de précisions sur le sujet, il suffit de consulter le règlement du 5 juillet 2010 de la Commission européenne paru dans le Journal officiel de l'Union européenne. Ce texte officiel demande aux autorités algériennes “d'assurer un contrôle continu des performances en matière de sécurité du transport aérien”. Parallèlement, il invite les Etats membres de l'UE à “intensifier le nombre d'inspections d'Air Algérie et de constituer la base nécessaire à une réévaluation de ce dossier lors de la prochaine réunion du comité de la sécurité aérienne qui doit avoir lieu en novembre 2010”. Pour expliquer ce qui est reproché à Air Algérie, je dois au préalable exposer en quoi consistent les contrôles ayant entraîné cette situation. Depuis 1996, il existe en Europe un programme de contrôle des avions étrangers appelé Security Assesment of Foreign Aircraft (SAFA). Il s'agit d'un programme établi par la Conférence européenne de l'aviation civile (CEAC) qui comprend 42 Etats. Les principes du programme SAFA sont simples : dans chaque Etat membre de la CEAC, des avions (CEAC ou non-CEAC) sont inspectés. Les inspections suivent une procédure commune à tous les Etats membres et sont reportées sur un format commun. Si une inspection identifie une irrégularité, celle-ci est transmise à l'opérateur et à son autorité de surveillance. Si des irrégularités ont un impact sur la sécurité, l'inspecteur peut demander une action corrective immédiate avant que l'avion ne décolle. Tous les rapports d'inspection sont centralisés dans une base de données électronique mise en place par les Joint Aviation Authorities (JAA). Cette base de données contient aussi des informations supplémentaires, comme les actions correctives, suite aux inspections. L'information de la base de données est régulièrement revue par les JAA afin d'identifier les domaines d'intérêts. Il faut préciser que les inspections SAFA sont limitées à une évaluation par sondage et ne peuvent pas substituer à la surveillance de l'autorité réglementaire appropriée. Les inspections sur l'aire de stationnement servent comme indicateur, mais ne peuvent pas garantir la navigabilité de l'avion inspecté. En effet, ces contrôles n'ont pas les caractéristiques d'une inspection complète dans la mesure où il incombe en principe à chaque autorité aéronautique d'exercer la surveillance effective de ses compagnies nationales en procédant à des inspections et à des audits en profondeur. L'autorité de surveillance de l'Etat membre CEAC choisit l'avion à inspecter. Certaines autorités effectuent des inspections aléatoires, tandis que d'autres visent un avion ou un opérateur qu'elles suspectent de ne pas être conforme aux standards de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) dont fait partie l'Algérie. Dans les deux cas seulement une petite portion d'avions étrangers opérant dans chaque Etat est inspectée. Dépendant du volume de trafic des vols étrangers et de la disponibilité d'inspecteurs dans chaque Etat membre, le nombre d'inspections peut varier dans de grandes proportions. Les éléments contrôlés sont : - les licences de pilotes ; - les procédures et manuels à bord de l'aéronef ; - les équipements de sécurité dans le cockpit et dans la cabine ; - le fret à bord de l'avion ; - l'état apparent de l'avion. Pour effectuer son contrôle, l'inspecteur SAFA dispose d'une liste de 54 articles d'inspection. Vu que le temps séparant l'arrivée de l'avion de son départ, seulement quelques points peuvent être inspectés. Les principes de SAFA ne sont pas de retarder l'avion, excepté pour des raisons majeures de sécurité immédiate. Si plusieurs irrégularités sérieuses sont trouvées, l'autorité de surveillance de l'Etat membre, qui a effectué le contrôle, contactera son homologue dans l'Etat de l'opérateur, transmet les résultats et demande des actions correctives, si nécessaire. Plus il est relevé d'irrégularités chez une compagnie, plus nombreuses sont programmées les inspections la concernant. Cet effet d'accélération autoentretenu prend encore plus d'ampleur lorsque l'autorité de surveillance de la compagnie en question ne coopère pas ou lorsqu'il y a un défaut de communication entre les deux instances. Dans le cas d'Air Algérie, un seuil d'alerte avait été atteint en fin d'année 2009, mais la communication entre la Commission européenne et l'administration de l'aviation civile algérienne n'avait pas été celle souhaitée. De ces deux faits, les contrôles sont devenus plus fréquents et plus tatillons que d'ordinaire. Ce n'est que lors de la réunion du 9 juin 2010 entre la Commission européenne et les représentants de l'Algérie que la clarification a été établie. Mais la procédure était déjà lancée du côté européen. Un peu plus de deux mois seulement nous sépare de la date butoir fixée par l'Union européenne pour se conformer, notamment aux règles de sécurité requises en la matière. Estimez-vous être prêts à répondre positivement aux exigences ? À l'échéance du mois de novembre sera évaluée l'évolution de la situation depuis 2009. Les performances d'Air Algérie seront-elles stationnaires, en évolution favorable ou défavorable ? À la date d'aujourd'hui, notre performance en la matière s'est considérablement améliorée grâce à un intense effort de sensibilisation du personnel concerné par ces aspects de l'exploitation. Car, il faut le souligner, les causes des irrégularités constatées ne résident ni dans le sous-équipement des aéronefs, ni dans la maintenance de leurs constituants essentiels. Dans la très grande majorité des cas, il s'agit d'écarts tels que le mauvais état des sièges ou de la moquette, l'omission d'un document de bord, l'omission du report par écrit d'un constat de défectuosité, la présence de bagages de passagers devant une issue de secours, la non-conformité de la répartition des passagers dans la cabine avec le plan de chargement de l'avion etc. qui sont tous dus à un facteur humain. C'est une culture du détail dont notre personnel doit être profondément imprégné. Nous nous sommes attelés à cette tâche et les travailleurs sont prêts à relever ce défi. Nous serons au rendez-vous. Le risque d'être inscrit sur la liste noire de l'UE en matière de sécurité aérienne est en soi un très mauvais point pour Air Algérie. Comment en est-on arrivé là ? Cela vous pousse-t-il à revoir votre copie en matière de gestion ? Comme je l'ai expliqué, le spectre de la liste noire est une vue de l'esprit. Il n'en a jamais été question et il n'en sera jamais question. Le problème n'est pas celui que vous supposez. Les procédures correctes existent mais, dans leur application quotidienne, nous reconnaissons qu'il existe une certaine nonchalance, voire un certain laxisme que nous combattons. D'énormes moyens sont consentis par la compagnie consacrés à un plan de développement. Où en est-on avec ce programme et pensez-vous que l'investissement est suffisant pour prétendre, à l'avenir, devenir une compagnie performante capable de faire face à la concurrence ? Jusque-là Air Algérie n'a pas encore engagé de plan de développement. Aujourd'hui, nous exploitons un nombre d'avions inférieur à celui que nous utilisions en 2000. Pourtant, nous desservons un réseau plus étendu. C'est dire que nous connaissons une tension de flotte qui commence seulement à être résorbée à la faveur des nouveaux achats (4 avions ATR72 entrés en services et 7 avions Boeing B737-800 qui seront livrés entre septembre 2010 et juillet 2011). Notre plan de développement comporte une rationalisation de la flotte et de son adaptation au réseau et un volet conséquent de formation et de recyclage.