Cette pièce est un drame dans son sens le plus shakespearien avec des personnages dont le destin est d'une banalité contemporaine. C'est aussi un métathéâtre qui propose une réflexion sur le théâtre. De très jolies propositions, annihilées, hélas, par une certaine lâcheté dans le propos. Présentée dans le cadre de la compétition de la sixième édition du Festival national du théâtre professionnel d'Alger qui dévoilera son palmarès, demain soir, Laylat Al Layali est la dernière production du Théâtre régional de Constantine. Mise en scène par Tayeb Dehimi, d'après un texte d'Allaoua Boudjadi, la pièce met en lumière trois destins : Noui, Bahia et Abdou. Laylat Al Layali nous plonge dans un triangle amoureux, et dans tout ce qu'il enfante comme déchirures, passions et clandestinité. Bahia est marié à Noui qui a réalisé son rêve en épousant cette dernière, mais pour cela, il a dû renoncer à sa passion pour le théâtre. Poussé par Bahia, il quitte son foyer à la recherche d'une meilleure vie et d'un meilleur avenir pour sa petite fille, Daouia. Se retrouvant seule, Bahia se réfugie dans les bras du meilleur ami de son mari, Abdou, et en tombe follement amoureuse. Tel un héros cornélien qui sacrifie ses sentiments au devoir, Abdou préfère son amitié pour Noui, et rejette l'affection de Bahia qui demande, malgré tout le divorce après le retour de son mari. Trois destins sont brisés parce que Bahia rejette l'hypocrisie sociale, et refuse de jouer un rôle dans le grand théâtre de la vie. Parallèlement à cette histoire qui crée un effet de réel et un fort sentiment d'identification, un effet d'étrangeté est produit pour distancier les spectateurs. Ce deuxième niveau de narration présente les protagonistes de la première histoire comme étant des comédiens qui incarnent des rôles, et qui réussissent à s'extraire rapidement de leurs personnages. La seconde histoire qui nous est narrée nous introduit dans les coulisses d'un spectacle. Il est donc question dans Laylat Al Layali de deux nœuds, mais le premier (l'histoire d'amour qui se termine dans un carnage) est défait, alors que le second (la situation de l'artiste) est occulté. Il est, certes, évident que la situation de l'artiste est précaire et qu'elle n'a pas encore été solutionnée, toutefois, ce thème relatif à l'art et aux artistes (dans le monde entier) est d'une banalité contemporaine. Récurrent. Ce thème semble, au premier abord, afficher un fort engagement de celui qui crée l'œuvre artistique (pièce de théâtre, roman), mais dans le fond, on s'aperçoit vite que cette présence est toujours la même, et qu'elle est instrumentalisée pour donner plus de profondeur au propos, et montrer qu'un créateur réfléchit sur son milieu (ici, le théâtre). Morale et pathos Mais cette introduction de passages et de tableaux autoréflexifs rapproche la pièce du théâtre de William Shakespeare et principalement à sa pièce le Songe d'une nuit d'été. En outre, l'espace scénique a été aménagé en trois niveaux horizontaux entrecoupés par des voiles très légers. Par ailleurs, Tayeb Dehimi a fait de jolies propositions sur le plan de la mise en scène et a exploré le capital des symboles. Une chaise était entreposée sur le côté droit de la scène, avec une lampe, représentant la place du metteur en scène, tout en concentrant le jeu sur la gauche. Une vision de biais, comme pour nous signifier toute la distance qu'il prend par rapport à l'histoire que raconte la pièce. Cependant, la pièce a manqué de courage, en tranchant vers la fin, et en apportant un point de vue qui semble lâche, puisque l'auteur et le metteur en scène ont cédé à la morale et au jugement. Ce rapprochement avec le théâtre shakespearien et le destin funeste des personnages, semble avoir été instrumentalisé. Or, il est question de comprendre et non de trancher. Le metteur en scène qui semblait nous signifier avec la chaise qu'il n'était pas impliqué dans la tournure que prendrait les évènements, a pourtant décidé à leur place. Il a choisi également de jouer sur la folie, qui semble devenir la solution facile dans le théâtre aujourd'hui. De plus, les pathos, le sens ravageur de la morale et style épique a annihilé la profondeur de la pièce.