Les crises des dettes souveraines européennes,mais aussi américaine, sont le fait d'une accumulation de déficits budgétaires annuels récurrents résultant de lois de finances adoptées démocratiquement, en toute connaissance de cause, par les différentes majorités politiques au pouvoir législatif dans ces pays. Cette accumulation des déficits budgétaires se poursuit d'ailleurs assez souvent avec le changement de majorité politique des pays concernés, s'installant les uns comme les autres dans la facilité de crédit. Ce faisant, il font payer au reste du monde dans le cas des Etats-Unis, et aux générations montantes, dans le cas de l'Europe, une facture de plus en plus lourde à supporter. C'est, d'une certaine façon, la remise en cause de cette rente géopolitique, rejetée par instinct de survie par les marchés financiers et contestée par les pays émergents, que reflète finalement la montée des crises des dettes souveraines. Alors, nous qui sommes structurellement installés dans une économie rentière, avons tout intérêt à en tirer des leçons et à corriger, avant qu'il ne soit trop tard, la trajectoire de notre politique budgétaire. La mise en place d'un fonds de régulation des recettes(FRR) et une politique monétaire prudente pour autant qu'elles fussent nécessaires ne sont pas pour autant suffisantes pour anticiper les problèmes résultant d'un endettement public potentiel sur le moyen terme. En l'occurrence, le recours aux marchés financiers et aux institutions de régulation internationales aurait des effets dévastateurs sur la société et l'économie algériennes. Bien plus que ceux de l'ajustement de la décennie 1990. Aussi, c'est dès à présent qu'il faudrait ajouter à ces deux mesures une politique ferme de rationalisation budgétaire, y compris sous environnement politique et social contraint. Pour ce faire, et en m'appuyant sur les évolutions budgétaires de court terme, j'identifie, pour ma part, quatre axes d'ajustement pouvant structurer cette politique. Le premier point que l'on peut relever, c'est celui de l'irruption des lois de finances complémentaires (LFC) comme outil de régulation budgétaire. Cela témoigne au moins de l'inefficience pour le moment des outils de prévision budgétaires et dans tous les cas que leur statut est à revoir. Il n'est pas facile de faire une analyse comparative entre la loi de finances (LF) 2012 par rapport à celle de 2011 car systématiquement, depuis plusieurs années, ces LFC viennent en fausser de façon significative les termes de comparaison. Ainsi lorsqu'on constate une diminution intéressante de 10% de la dépense budgétaire en 2012 par rapport à 2011 la comparaison est faite entre les montants de la LFC 2011 comparés à ceux de la LF 2012. Qui nous garantit que le poste dépenses ne sera pas revu à la hausse par une LFC 2012 ? Néanmoins retenons provisoirement cette tendance à la baisse comme acquise. Mais à voir de plus près cette tendance favorable est contrariée par l'augmentation des dépenses de fonctionnement qui passent de la moitié en 2011 aux deux tiers des ressources allouées en 2012. De façon plus précise, les dépenses d'équipement baissent de 29% alors que les dépenses de fonctionnement augmentent de 7%. L'explication donnée, nonobstant les appuis aux entreprises et autres transferts sociaux, comporte deux volets : augmentation des dépenses salariales des fonctionnaires et le paiement de leur rappel, absorbée d'ailleurs partiellement par la LFC 2011 qui a augmenté le budget de 25%, et le retard dans l'exécution du plan quinquennal 2010-2014. Deuxième axe d'analyse en rapport avec notre problématique de fragilité budgétaire, c'est celle de l'évolution de la structure des recettes fiscales. En 2011 et les projections pour 2012 maintiennent un ratio de 51% pour les ressources tirées de la fiscalité ordinaire et 49% pour celles liées à la fiscalité pétrolière. C'est mieux que les périodes précédentes où le ratio était d'un tiers pour la fiscalité ordinaire et deux tiers pour la fiscalité pétrolière. Mais ce n'est pas assez car d'une part, il n'est pas pris en compte la part de la fiscalité pétrolière abritée dans le FRR et d'autre part, l'objectif de couverture des dépenses de fonctionnement par la fiscalité ordinaire s'éloigne car il ne représente plus qu'un tiers en 2012. L'argument avancé par les pouvoirs publics d'une baisse relative et ciblée de la pression fiscale sur les entreprises pour utile qu'elle soit ne peut tout expliquer. Troisième angle d'analyse qui me semble pertinent c'est celui du calcul et du financement du déficit budgétaire. Il me semble que le calcul de ce déficit à force d'être artificiel devient compliqué à décrypter pour l'analyste et illisible pour le citoyen. Au bout du compte, on ne sait plus quel chiffre il faut retenir pour le taux de déficit budgétaire 2011 et lequel est prévu pour 2012. Des clarifications devraient être apportées pour le calcul, ex-ante et ex- post, de ce taux ainsi que pour les différents mécanismes utilisés pour financer ce déficit. L'enjeu est important pour convaincre de la nécessité de sa réduction progressive. Dernier point, celui de la soutenabilité à moyen terme de l'équilibre budgétaire. Les variables d'anticipation et de calcul sont connues et affichées. Selon Sidi Mhamed Ferhane, directeur des prévisions et politiques au ministère des Finances “on pourrait tenir deux à trois ans” avec le concours du FRR disposant à fin 2011 de 5 500 milliards DA (75 milliards de dollars) soit 40% du PIB et des réserves de change de 188,8 milliards de dollars (prévision de clôture 2011). Ces dernières peuvent financer quatre ans d'importation d'après le FMI. À cette analyse acceptable par tous en termes de stocks, j'oppose pour ma part une analyse en termes de flux. Simplement pour mettre un bémol à un optimisme qui peut être démobilisateur. En 2011, en termes de balances de paiement, nous avons payé au reste du monde 46 milliards de dollars en achat de marchandises et probablement 13 milliards en termes de services soit un total de 59 milliards de dollars. Les recettes du pays en devises pour 2011 sont de l'ordre de 69 milliards de dollars (67 plus 2 milliards dollars hors hydrocarbures) soit un excédent modeste de 10 milliards de dollars. C'est exactement la variation des recettes d'hydrocarbures entre 2010 et 2011 qui peut se reproduire d'une année à une autre dans le sens de la baisse. De ce point de vue on voit mieux s'installer la fragilité des équilibres budgétaires, y compris sur le court terme. La réduction stratégique de la menace se trouve dans le changement de paradigme de la croissance. En attendant la rationalisation en profondeur des dépenses de fonctionnement, la maturation des projets d'investissements et le recours aux cofinancements étrangers, me semble être, dans une première phase les premières pistes, à privilégier dès 2012. Les choses étant claires sur ce dossier, je voudrai quand même, en ce début d'année 2012, conclure, pour mes lecteurs, par un point de méthode. Je reçois en effet dans le cadre de cette chronique, des mails et des messages, quelquefois anonymes, dont les auteurs veulent poursuivre le débat dans le champ politique, voire politicien. Certains d'entre eux considèrent que je ne suis pas assez critique et d'autres que je le suis trop. À ceux-là, je précise que cet espace qui m'est dédié, est, stricto sensu, celui de l'analyse économique. Quant au positionnement politique, mon parcours est suffisamment lisible ; si j'ai à le manifester je le ferai, les moments venus, mais ailleurs dans les espaces appropriés. C'est une question d'éthique intellectuelle mais aussi politique. M. M.