Au-delà de la spéculation des chiffres, des constatations sociologiques ou encore des analyses psychologiques faites pour décoder les messages des immolés, toutes les religions monothéistes ne tolèrent point le suicide, quelle qu'en soit la raison. L'islam, pour sa part, ne laisse aucune ambiguïté à ce sujet. Il condamne expressément et interdit formellement le passage à cet ultime acte, à l'irréparable. Le Coran le décrit comme un sacrilège. Attenter à son propre corps relève directement de la mécréance. Un tel acte inspire désobéissance à Allah. Il sera durement châtié, comme il est signalé dans la sourate Enissa (Les femmes), selon le sens du verset (29-30) : “... Et ne vous tuez pas vous-mêmes. Allah, en vérité, est Miséricordieux envers vous. Et quiconque commet cela, par excès et par iniquité, Nous le jetterons au Feu, voilà qui est facile pour Allah." L'avertissement d'Allah, exalté soit-il, est clair et sans appel. L'immolation par le feu, communément appelé le suicide particulier, est et restera un Grand Péché. Ce verset désigne que cette pratique de protestation suicidaire à la “mode" de Bouazizi est aux antipodes des enseignements de l'islam. Le Tunisien, accablé par le chômage et l'hostilité de la vie, a préféré se retourner contre son propre corps en le faisant dévorer par les flammes devant le siège de la préfecture de Sidi-Bouzid. La suite on la connaît. Il est devenu “l'icône du Printemps arabe". Le syndrome Bouazizi a fait des émules et a déclenché une vague d'immolations parmi des Algériens dont le pic avait été atteint en 2011. Signalons au passage qu'en l'absence de chiffres officiels, on a préféré faire l'impasse sur les statistiques, qui ne sont pas l'objet de notre enquête. Pour “les immolés rescapés", interrogés par nos correspondants dans plusieurs régions du pays, sur les raisons d'un tel acte de désespoir, ces miraculés s'accordent à reconnaître qu'ils sont conscients que leur geste demeure un grand péché et sévèrement puni selon les préceptes de l'islam. Cependant, ils n'excluent pas de récidiver, dans le cas où les autorités persisteraient à méconnaître leurs doléances. Selon le Dr Mohand-Iddir Mechnen, cadre central au département ministériel de Ghlamallah, la philosophie de l'islam repose sur la préservation de l'âme comme “amana". Cette “amana" nous a été confiée à titre intérimaire. L'être humain n'a aucun droit de regard sur cette vie qui ne lui appartient pas. Pour lui, cet acte de désespoir signifie l'ingérence dans les affaires d'Allah. C'est Allah, exalté soit-Il, qui est à l'origine de la vie. L'argument de la religion musulmane est bâti sur la soumission, en tout temps en tout lieu, à la volonté d'Allah. S'ôter la vie est un forfait des plus horribles que l'homicide. La théorisation de l'interdiction du suicide dans la sunna En un mot, le suicidaire par le feu s'octroie une prérogative divine. Celui qui ose attenter à sa vie est sorti des limites de la volonté de Dieu. Du moment qu'on est musulman, c'est-à-dire soumis à la volonté de Dieu, il est ainsi défendu de recourir à cet acte, comme il est formellement indiqué dans la sourate Al-Imran (la famille Imran), verset 132 : “... Et obéissez à Allah et au Messager afin qu'il vous soit fait Miséricorde." La théorisation de l'interdiction du suicide est clairement rapportée dans la tradition du Prophète Mohamed que le salut soit sur lui. Mohand-Iddir Mechnen nous a fait rappeler une citation du Messager Mohamed que le salut soit sur lui, en insistant que le musulman n'a aucunement le droit de s'immoler par le feu, quelles que soient les pressions et quels que soit les soucis auxquels il est confronté dans la vie. À ce titre, le Prophète a dit : “Quiconque se précipite du haut d'une montagne et se tue, sera alors jeté en enfer d'où il chutera éternellement sans fin. Quiconque se suicide avec un poison gardera ce poison à la main pour l'ingurgiter en enfer éternellement et sans fin. Et quiconque se suicide avec un morceau de fer le tiendra alors dans sa main et s'assènera des coups dans le ventre en enfer éternellement et sans fin", rapporté par Boukhari et Mouslim. La panacée en islam : l'endurance Le Bon Dieu nous demandera, dira le Dr Mechnen, des comptes dans l'Au-delà sur ce que nous avons fait de notre vie. C'est de notre devoir de préserver notre vie de tout mal quel qui soit, pour garantir la continuité de notre pays. Faisant un lien entre la religion et l'amour pour la patrie, M. Mechenen soulignera que si par le passé, l'Algérie avait besoin de ses enfants afin de libérer le pays du joug du colonialisme, en revanche, notre pays a besoin, à présent, de tous ses enfants pour construire une nation. Plus loin, notre interlocuteur ne manquera pas de battre en brèche toutes les arguties “montées de toutes pièces par les immolés rescapés". Ni l'argument du chômage, ni l'hostilité de la vie, ni l'injustice, ni l'absence de moyens de subsistance, ni la crise de logement, ni la hogra, ou toute autre revendication de ce bas monde ne justifient dans la religion musulmane un tel acte. Rien ne légitime le fait de se transformer en une torche humaine. Le remède envisagé en islam est incontestablement l'endurance. La panacée se résume, selon notre interlocuteur en deux mots, la patience et la persévérance dans la foi de Dieu. Poursuivre le chemin de la foi implique à œuvrer sans relâche dans cette voie et se réfugier auprès de Lui pour s'assurer sa Clémence et sa Miséricorde. L'on peut lire dans la sourate Ezzoumor (les groupes), le verset 10 : “Les endurants auront leurs récompenses sans compter." La vie est une faveur d'Allah et une occasion qui ne se renouvellera jamais. L'être humain doit en profiter, et ce, en multipliant les bonnes œuvres. Allah, soit exalté, dit encore à ce propos, dans la sourate Enahl (les abeilles) dans le verset 97 : “Quiconque, mâle ou femelle, fait une bonne œuvre tout en étant croyant, nous lui ferons vivre une bonne vie, et nous les récompenserons certes en fonction de leurs meilleures actions." La récompense de l'endurance est un compte courant de récompenses ouvert éternellement. Allah, exalté soit-Il, a encore insisté sur la persévérance dans l'endurance dans le dernier verset de la sourate Al-Imran (la famille d'Imran) : “Ô les croyants ! Soyez endurants, incitez-vous à l'endurance, luttez constamment (contre l'ennemi) et craignez Allah, afin que vous réussissiez !"Le coefficient religion suffit, à lui seul, pour dissuader les jeunes de cet acte de désespoir ? Notre interlocuteur avoue néanmoins que d'autres institutions et organismes doivent jouer un rôle prépondérant dans cette campagne de sensibilisation. Les médias sont appelés, pour leur part, à participer avec tous les moyens possibles pour juguler ce phénomène et dissuader ceux qui restent tentés de recourir à cet acte. L'exemple de la tentative de récidive par l'immolé miraculé de Mila (lire l'article de notre correspondant à Mila), insinue que l'immolation est devenue un moyen de pression sur les autorités pour résoudre son problème. La symbolique de l'acte en public signifie que les autorités et la société sont responsables. Pour désigner les autorités coupables, ils choisissent d'ailleurs une institution publique, APC, daïra, tribunal, wilaya, pour passer à l'irréparable. Ils pensent que cet acte est devenu une condition sine qua non pour concrétiser leurs “désirs". Immolation par le feu, c'est un sésame, dans l'esprit des candidats à ce suicide particulier. En guise de conclusion, il importe de lancer des études sociologiques et psychologiques approfondies qui seront, dit-il, d'un grand apport de nature à contribuer à juguler cette pratique étrange à notre société, en les conjuguant aux préceptes de l'islam. H. H.