C'est un Boudjemâa Khalfoune tout revigoré et plein de promesses que nous avons rencontré. Il avait quitté le pays depuis plus de 20 ans. Mais il en a profité pour approfondir sa connaissance de la musique et, surtout, écrire. Il revient avec des textes et des compositions très recherchés. Nous l'avons rencontré à Birkhadem, lors de son passage en Algérie. Entretien. Liberté : Alors Vuj, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs, notamment les plus jeunes ? Vuj-Xalfun (Khalfoune) : Vuj-Xalfun est un artiste, tout simplement. Je passe de la contrebasse à la guitare et d'un orchestre de musique classique à la voix et à la guitare avec des textes tantôt en kabyle (je dis bien kabyle pas berbère), tantôt en français. Une écriture rouge, une écriture noire, aux couleurs du cœur, aux couleurs de l'âme, aux couleurs de l'amour tout simplement. Tout en restant moi-même. J'ai des vers à la Brassens... Je ne suis pas un justicier mais je ne peux pas me taire devant les injustices. S'il m'arrive de sortir de mes gongs, c'est la souffrance du juste, une saine révolte qui se traduit par des chansons à qui veut bien les entendre. Justement nous avons l'impression que vos textes en kabyle ou en français sont une sorte de dialogue avec Aït Menguellet, Brassens... Vous m'honorez trop ! Avec Brassens, oui, je suis dans une sorte de dialogue : «Les fleurs que tu avais plantées / Un jour dans les trous de son nez, / elle les a prises pour un bouquet, /Pour une invite à convoler, / la camarde, à mon avis, / par méprise, t'a mis dans son lit. /Pour qu'il soit plus derrière des grilles / t'as ouvert la cage au gorille. / Et tu leur chantes in extenso / Le Testament et Le Bistrot, / comme tu savais si bien le faire / quand tu avais les pieds sur terre...» Concernant Aït Menguellet, je ne dirais pas qu'il s'agit de dialogue. J'ai besoin de lui quand une psychopathie me mine, quand j'ai l'affectif qui tombe en ruine. Et pour lutter mordicus contre cet étrange virus, j'écoute Aït Menguellet. Estimez-vous que vous avez “mûri" ? Vous voulez savoir si je suis au seuil du trépas ? (Rires) Peut-être que oui, peut-être que non ! Je ne sais pas. Attends, je prends un joker, j'appelle Laurent Gounelle. Peut-être m'aidera-t-il à donner une réponse. Allo ! Laurent t'en pense quoi ! “Nous sommes ce que nous pensons." (Rires) Où en êtes-vous avec votre nouvel album ? Paraît que vous collaborez avec le poète Ben Mohamed et l'artiste peintre Slimane Ould Mohand ? Je rentre au studio ce mois de mars pour vous offrir quelques chansons dont ma préférée “Mon amante kabyle". Ben Mohamed est un grand ami et c'est lui qui m'a ouvert la voie de la scène dans les années 1973. Quand je pense à Ben, je chante : Toi l'auvergnat de Brassens. Ma seule collaboration avec Ben Mohamed, l'auteur d'une des plus belles œuvres kabyles Avava Inuva, s'appelle L'amitié indéfectible. Quant à mon second ami, l'artiste peintre Slimane Ould Mohand, il y a l'amitié et quelques tournées. En fait, quand l'un peint, l'autre chante. Slimane se chargera de la couverture du CD, quant à Ben j'essayerai de lui faire arracher quelques mots concernant mon travail. Quel regard portez-vous sur la chanson kabyle, texte et musique ? Des progrès ? Des régressions ? De l'espoir ? Le tableau est sombre. Je suis pessimiste. Je préfère ne rien dire de plus, au risque de blesser certains. Cependant, les Idir, Aït Menguellet, mais aussi Si Moh, Zimu, Mohsa nous laissent espérer un avenir meilleur. Et quel regard portez-vous sur, euh (?), le “mariage pour tous" ? (Rires) Personnellement, je suis en doute même du mariage entre femme et homme. Par contre, ce qui me rassure, c'est l'amour. Car l'amour, même sans mariage, rend heureux. Donc, je suis plutôt pour l'amour. (Rires) Je suis aussi contre l'héritage. Je voudrais qu'il devienne péché. Moi je veux mourir intestat. Je n'ai donc rien à transmettre, ni lopin ni trésor caché. L'argent ne fut jamais mon maître, ni jamais ma priorité. Pardon à tous mes héritiers. Mais comme il leur sera difficile de me pardonner, et pour ne pas mourir totalement intestat, j'ai beaucoup d'amour à leur laisser en réserve.