La cueillette des olives bat son plein en cette mi-décembre à travers toutes les régions de Kabylie. Hommes, femmes et enfants se donnent la main et unissent leurs forces pour récolter les olives arrivées à maturité, le tout dans une ambiance de kermesse. C'est aussi cela le charme de la Kabylie. Faire d'un travail harassant et risqué un moment festif où petits et grands, peu importe leur situation sociale, communient avec la nature pour qu'elle donne le meilleur d'elle-même. Cette année, dans la wilaya de Bouira, la récolte s'annonce relativement prometteuse. C'est du moins ce que nous ont révélé certains oléiculteurs de la région de Kadiria. Mais pour que ces olives livrent leur précieux nectar, lequel est un véritable or vert, elles doivent obligatoirement passer par des "alchimistes". Une fois la récolte achevée, le précieux produit est acheminé vers les huileries. Et pas n'importe lesquelles. Des huileries traditionnelles ou semi-traditionnelles, où chaque "pépite" est soigneusement triturée et pressée, afin d'en extraire le précieux breuvage. Si les dieux antiques avaient l'ambroise comme nectar, celui de la Kabylie n'est autre que l'huile d'olive.
La meule génoise ou le mythe de la "pierre philosophale" Pour découvrir le processus originel de fabrication de l'huile d'olive, direction la localité montagneuse de Mehouel (commune de Lakhdaria, nord-ouest de Bouira). Au détour du barrage fixe de l'ANP et sommet d'une colline, nous faisons la rencontre de Khaled, propriétaire d'une huilerie semi-traditionnelle, l'une des rares encore en activité dans la région. Bottes en caoutchouc, pull à moitié déchiré et un vieux jeans constituent pour ce quinquagénaire bien conservé son "bleu de travail". D'emblée, cet homme à l'allure chétive et au sourire permanant dit "ne pas vouloir de publicité". "Je suis un petit exploitant qui ne souhaite de problème avec personne." Aussitôt rassuré sur l'objet de notre visite, Khaled s'empressera de nous faire visiter les lieux. Un hangar perdu au beau milieu de nulle part et trois assistants qui se démenaient comme de pauvres diables afin re-calibrer la presse. "La fabrication de l'huile d'olive est dans les faits assez simple. On n'est pas plus intelligent que nos aïeux, on reproduit à l'identique le même processus que nos grand- pères, à savoir la trituration de l'olive, son pressage et enfin sa décantation", a-t-il fait savoir. Cet "alchimiste", même s'il refuse cette appellation, entamera, pour nous, le processus depuis le départ. Ainsi, au fond d'une cuvette faisant 2,5 m de profondeur, les sacs d'olives sont vidés, pour qu'ensuite les olives soient aspirées vers une meule génoise. Qu'est-ce que c'est ? "C'est le broyage des olives entre deux pierres circulaires. C'est grâce à elles qu'on crève la peau et on écrase les olives pour les transformer en pâte", expliquera Khaled. Et de préciser : "En dérapant sur le fond des cuves, elles ne font pas que broyer les olives, elles malaxent la pâte afin de faire éclater les vacuoles qui sont les cellules de graisse de la pulpe." En somme, c'est une sorte de "pierre philosophale", laquelle transforme de simples olives en or vert. Ce système n'a pas changé depuis le 13e siècle. La seule évolution réside dans le fait que ce ne sont plus des mulets qui font tourner les deux pierres, mais un système de poulies fonctionnant à l'électricité. Traditionnelle mais a encore la cote Mais avant que la magie n'opère, on obtient une pâte noire, crasseuse et franchement pas très appétissante. Pour avoir une huile pure et délicate, il faudra encore passer par une seconde étape, consistant à presser cette pâte pour en extraire l'huile. "Maintenant que nous avons la pâte fine et onctueuse, il faut bien séparer les liquides, huile et eau, des fibres végétales de la pulpe et ligneuses du noyau", soulignera notre interlocuteur. Pour lui, même si la technologie a fait d'énormes progrès dans le domaine, rien ne pourra remplacer la presse traditionnelle. Khaled, aidé par ses assistants, s'attellera ensuite à mettre cette pâte dans d'étranges petits sacs plats tissés en fil de jonc (sbaoulou) ou bien de l'alfa. La pâte d'olive est mise dans des sacs ou des linges, afin d'être compressée à l'aide de la presse. "Les jeunes générations ne connaissent pas ces sacs, c'est bien normal. Il faut être un paysan pur jus pour les connaître, demandez à votre grand-mère, elle aura tant à vous apprendre", dira Khaled d'un air taquin. Il est vrai que ces sacs aux formes circulaires, on n'en voit pas tous les jours. Pourtant, ils ont une fonction très importante dans le processus de la production de l'huile d'olive. Ils servent à faciliter l'extraction de l'huile de la pulpe, tout en gardant les déchets (chelma) à l'intérieur. La pâte est placée en couche de 3 cm d'épaisseur environ dans des sacs en forme de disque, eux-mêmes empilés les uns sur les autres autour d'un pivot central, appelé aiguille, monté sur un petit chariot. "La chelma, on la garde de côté pour la revendre aux éleveurs de volaille. C'est un aliment naturel et très riche. En outre, c'est un bon combustible", nous apprendra Khaled. Tandis que ce dernier expliquait le processus du pressage, l'un de ses assistants a failli perdre un bras dans la presse. Petit moment de panique et de grosse frayeur. Fort heureusement, la machine a pu être arrêtée à temps. "C'est un métier assez risqué comme vous pouvez le constater, mais on oublie tout quand on voit cette l'huile pure couler", s'émerveillera notre vis-à-vis. Mais pour avoir une huile onctueuse, elle doit rester dans le bassin de décantation durant 36 à 48 heures. Le liquide recueilli, expliquera Khaled, contient de l'huile et de l'eau. L'huile se décante naturellement puisque sa densité est inférieure à celle de l'eau. La margine, "ce fléau écologique" Le processus d'extraction d'huile d'olive a beau être captivant, mais il n'en demeure pas moins qu'il comporte des risques pour l'environnement. En effet, la margine, un liquide naturel contenu dans l'olive, est extrêmement polluant. Contrairement à Khaled, qui a prévu un bassin pour la contenir, certaines huileries de la région n'hésitent pas à déverser cette margine dans les rivières, notamment dans l'oued Issers, qui traverse du nord au sud la commune de Lakhdaria. "J'ai investi plus de 60 millions de centimes pour un bassin spécialement prévu pour recueillir les déchets de la margine", confiera Khaled, qui estime "criminel" de jeter la margine dans les cours d'eau. Certains villageois de Tizi Lbir et Guergour, toujours dans la commune de Lakhdaria, se plaignent de la pollution de l'eau due à ces rejets. "Dernièrement, on nous a même dit que de la margine a pénétré dans les forages. D'ailleurs, nous n'avons pas eu d'eau durant une semaine", nous a confié un habitant du versant est au chef-lieu communal. R. B.