Parmi les auteurs qui se sont penchés sur la question de l'exil, il y a l'auteure algérienne Karima Berger. Mais elle a préféré parler d'hégires. Non pas un, mais des hégires. Un pluriel qui symbolise des situations multiples. Depuis quelque temps, en France comme partout ailleurs, la migration et l'exil sont au centre des discussions, des débats et de la littérature. Parmi les auteurs qui se sont penchés sur la question de l'exil, il y a l'auteure algérienne Karima Berger. Mais elle, elle a préféré parler d'hégires. Non pas un, mais des hégires. Un pluriel qui symbolise des situations plurielles. "Hégires, mes hégires sans hégires sans terres. Ciel, dattes, miel, lait, pain désertés, langue aussi, me restait celle du roûh, réservée à l'âme, langue de nuit...", nous dira-t-elle comme préambule dans cet essai publié aux éditions Actes Sud (France). Un écrit qui fut en cette soirée hivernale parisienne sujet à dialogue poétique et hautement spirituel, presque religieux, entre Karima, cette auteure – enfant spirituelle de l'Emir Abdelkader – et la jeune écrivaine libanaise – auteure de biographies dont celle des sœurs Brontë – Laura El-Makki. Un dialogue qui s'est voulu un échange autour d'un vécu qui a beaucoup inspiré notre auteure qui est remontée très loin dans le temps en nous faisant remarquer que "l'exil (hégire) du prophète Mohammed (QSSSL) en 622 à Médine, pour échapper à ses ennemis mecquois, marque l'an 1 de l'ère musulmane". C'est donc dire l'importance de cet exil qui va constituer un début et non une fin. Elle dira d'ailleurs que pour elle "l'exil ne signe pas notre mort, il est une condition de notre accomplissement". C'est une autre manière de voir les choses. Une façon de positiver quelque peu ce choix de s'exiler quand on n'arrive pas à s'accomplir chez soi. Quand on n'arrive pas à se retrouver dans son propre pays, on se voit contraint à se chercher ailleurs. Quand Karima ne s'est pas sentie à l'aise dans son Algérie, elle l'a quittée pour venir s'épanouir dans cet ailleurs qui lui a, au fil des années, permis de retrouver en elle cette "El-Djazaïr" qui l'habite depuis toujours et dont on a falsifié le nom. Elle dira à ce sujet justement : "Mon pays s'appelle Les Îles, déjà l'exil. Tu me demandes d'où je viens, je viens de ces El-Djezaïr..., des îles pour te faire rêver, jeune fille..." Une jeune fille qui a choisi de partir pour accomplir son devoir à travers cet élan vers l'Autre. L'Humain n'est pas Un mais Pluriel. Au départ, il lui avait semblé trahir sa terre natale en la quittant, mais plus tard, avec du recul, l'horizon s'éclaircit et elle comprend qu'il était écrit quelque part qu'elle devait partir pour mieux (re)découvrir ses El-Djazaïr, et à travers elles, faire connaître à l'autre son maître spirituel l'Emir Abdelkader, nos savants et penseurs Ibn Arabi, Ibn Sina, Ibn Khaldoun, nos auteurs Mohammed Dib et Assia Djebar... Dans son essai Hégires, l'auteure raconte ses Tribulations, fait des Détours, marque des Haltes, parle de Métamorphoses, décrit ses Accomplissements... tout cela pour nous faire aboutir à des Destinations choisies par les uns et les autres, des chemins empruntés par les différents prophètes qu'a connus l'Humanité et qui aboutissent tous vers Dieu. Dans sa quête spirituelle de l'accomplissement de soi, Karima Berger nous parle de Miraj "l'ascension du Prophète (QSSSL) nous anime en secret lorsque nous nous exilons, nous espérons peut-être comme lui connaître l'élévation, et qui sait, l'extase." Mais la situation que vit le monde aujourd'hui à travers ces milliers de migrants qui fuient leur pays en quête de sécurité, de dignité et de liberté dit tout autre chose. Mais son exil à elle se voulant avant tout un accomplissement, on retrouve "un autre détour. Celui de l'amour". Racontant son propre périple à cette "princesse" qui l'accompagne tout au long de son écrit, l'auteure se dévoile complètement ; elle parle, lit, traduit, écrit, se refait et s'accomplit enfin dans "Un achèvement"... "Accomplir son exil comme on accomplit son destin", tel est le sentiment profond véhiculé par ces... hégires. De Paris : Samira Bendris-Oulebsir