Le 2 février 2019, le Premier ministre Ahmed Ouyahia s'investit corps et âme dans la perspective du 5e mandat. "La candidature du président Bouteflika ne fait aucun doute", assurait-il dans une conférence de presse. Arrogant et sûr de lui, il a minimisé l'impact du boycott de l'opposition. "Ils ont décidé de boycotter. Ils sont libres. C'est la démocratie. Ils ont tenté de recourir à la rue auparavant. Le gouvernement a prouvé qu'il maîtrisait la rue. On ne les laissera pas semer le chaos", a-t-il prévenu, précisant que les Algériens ne savent pas manifester sans violence. Quelques jours plus tard, Abdelmalek Sellal, désigné directeur de campagne du chef de l'Etat, et Abdelmajid Sidi-Saïd, SG de l'UGTA, s'exaltaient littéralement de la restauration de la paix "grâce à la réconciliation nationale du moudjahid Bouteflika", comparé, sur ce registre, à Nelson Mandela. Le message adressé à l'opinion publique est sans équivoque : "Soit le 5e mandat, soit le retour aux sanglantes années 90." L'argument est abusivement utilisé, à telle enseigne qu'il a inspiré le formidable chant des supporters de l'USMA, La casa Mouradia, qui dit dans un couplet : "Au premier (mandat, ndlr), on nous a embobinés avec la décennie noire." Le 22 février 2019, des milliers d'Algériens sont sortis dans la rue — y compris dans la capitale interdite aux manifestations durant 18 ans — pour exprimer une opposition implacable au 5e mandat. Au-delà de leur synchronisation à travers le pays, les marches citoyennes ont ébranlé le régime par leur pacifisme et leur sens du civisme. Le clan au pouvoir tente la stratégie de la terreur. "En Syrie, tout a commencé par des fleurs, ça s'est terminé dans le sang", a asséné Ahmed Ouyahia depuis la tribune de l'APN lors de la présentation de la déclaration de politique générale du gouvernement. Le président de l'APN, Mouad Bouchareb, a abondé dans le même sens en déclarant, à partir d'Oran : "Dans de nombreux pays, les gens sont sortis dans la rue par dizaines de milliers pour exprimer des revendications sociales et politiques et, lorsque d'autres parties se sont infiltrées, leur rêve s'est évaporé." C'était la veille d'un vendredi 1er mars phénoménal. Le peuple n'a pas dérogé à son principe sacré : silmya. En fin de journée, une chaîne de télévision privée a placé ses caméras à un endroit choisi pour filmer des actes de vandalisme commandités. Le monde s'intéresse à l'Algérie, et ne retient que les aspects civilisationnels du soulèvement populaire. Le régime recourt alors à d'autres cartes : diabolisation de l'opposition politique, chahut de personnalités lors des marches et tentatives de division du mouvement par l'émergence de revendications spécifiques. L'épouvantail islamiste est, bien entendu, planté dans le champ de la révolution. Des anciens dirigeants du FIS dissous, sortis subitement des bois, s'épuisent à organiser des prières collectives dans la rue, sans y parvenir. Face aux échecs successifs d'atomiser la mobilisation populaire, les tenants du pouvoir durcissent le ton et l'action. Dans son dernier discours, le général de corps d'armée, Ahmed Gaïd Salah, a parlé de "main étrangère" qui cherche à déstabiliser le pays en invoquant le risque de l'institution d'un état d'exception. En parallèle, un lourd dispositif de répression est mis en place à Alger. Mardi et mercredi, les manifestations sont confrontées à une violence policière inédite depuis le début de la révolte. Pour le porte-parole du gouvernement, Hassan Rabhi, les forces de sécurité ont fait usage de gaz lacrymogène et de canons à eau pour contrer des troubles à l'ordre public. Il a évoqué une probable infiltration des marches du vendredi par des individus malintentionnés. Sur le terrain, de gros moyens sont déployés pour restreindre la participation à l'événement du vendredi. L'intimidation n'induit pas d'effet dissuasif sur les manifestants, qui se sont réapproprié la rue. La police usera de gaz lacrymogène contre eux. Le drame a été évité de justesse à la sortie du Tunnel des facultés d'Alger. La Sûreté nationale a couvert sa responsabilité par la présence, dans la foule, de terroristes armés. À ce moment, une chaîne offshore franchement acquise au pouvoir diffusait des images de quelques hommes, en qamis et barbe hirsute, conduisant un carré de marcheurs. Au lieu d'abdiquer devant le peuple, source de pouvoir et de souveraineté, les porte-voix du régime s'échinent à l'emberlificoter avec les théories de complots extérieurs, menace de réédition de la décennie noire. Jusqu'alors, la génération 3.0 a déjoué habilement ces manipulations bancales. Souhila Hammadi